Des questions, rien que des questions

La réponse au(x) chemin(s) à suivre pour obtenir le changement nécessaire, n'est pas verbale, ni sentencieuse, ni même évidente, et c'est le plus important. L’attachement aux principes ne suffit pas, bien qu’il soit nécessaire. Il n’est pas suffisant non plus d’avoir des convictions qui poussent à l'action, si celle-ci risque d’être téméraire juste pour entretenir l’autosatisfaction…
2021-12-06

Nahla Chahal

Professeure de sociologie politique, redactrice en chef de «Assafir Al Arabi»


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Dia Azzawi - Irak

Juste des questions ? …Non ! Car les valeurs adoptées et qui incitent à la réflexion, restent présentes, sans quoi la résignation face à la réalité avilissante aurait été de mise, parce que considérée comme « la réalité », c'est-à-dire l’irrévocable. Cette résignation est très courante, mais elle demeure fausse selon tous les critères : Primo, celui du réalisme, et pour preuve, les chutes et déclins abyssaux, qu’on a souvent vécus sont suivis d'une renaissance radieuse.

 Les exemples sont innombrables aussi bien dans notre région que dans le monde, aujourd’hui comme de par le passé, et rien n’empêche qu’il en sera ainsi à l’avenir. Secundo, il y a « l'éthique » (si on peut l'appeler ainsi), qui fait de l'acceptation de l'injustice et de la misère un écart majeur. Elle sert d’ailleurs de moteur au troisième critère, à savoir la volonté ! 

Sans volonté, les Palestiniens de la génération actuelle, par exemple, se seraient résignés, environ 75 ans après la Nakba, mais ils ne se sont pas résignés, leurs soulèvements collectifs se poursuivent, et la résistance individuelle continue (voir le discours de Muhammad al-Kurd et la résistance des habitants du quartier de Sheikh Jarrah dans Jérusalem). Cet exemple est sciemment choisi, d’abord pour agacer les cyniques, et avec eux les clientélistes (conscients ou pas de leur situation !) ; ensuite, parce qu'il n'y a pas aujourd'hui de situation plus terrible, car délibérément conçue pour atteindre ce niveau d'injustice exhibée et bénéficiant de la connivence générale. 

Il existe bien évidemment une misère croissante dans le monde en général, sous diverses formes, et il y a des groupes entiers soumis à la persécution, à l'exploitation et à la répression. Il y a aussi un mépris criminel de l'avenir des êtres humains mu par l’appât du gain et du pouvoir, dont l'altération du climat et de la nature, qui provoque catastrophes, famines, migrations, etc. Mais la Palestine reste un cas unique.

L'existence de ces piliers de valeurs n'élimine pas pour autant l’inquiétude, l'angoisse et le doute... Piliers de valeurs relatifs surtout à la question de la réalisation du changement nécessaire, souhaité et revendiqué, sinon ils n'auraient pas eu de raison d’être, sauf peut-être au niveau de l'organisation de la vie individuelle et familiale de plus en plus difficile.

Il s’agit d’un changement pour acquérir les droits humains fondamentaux dans une vie digne à tous les niveaux, ainsi que pour bannir le retour au despotisme quel qu’en soit le label, ce qui est souvent le lot de nombreuses révolutions après leur succès ! A cet égard, la litanie des discours paresseux, ou ceux des habitués aux défaites ne suffit pas (et c'est le problème réel, même parmi ceux qui rejettent ces défaites, et même parmi ceux qui se prennent pour des « révolutionnaires » !) : Non, la réponse n'est pas verbale, ni sentencieuse, ni même évidente, et c'est le plus important. Non, non, l’attachement aux principes ne suffit pas, bien qu’il soit nécessaire. Il n’est même pas suffisant d’avoir des convictions qui poussent à l'action, si celle-ci risque d’être téméraire juste pour entretenir l’autosatisfaction ; ou automatique... exactement comme la gestuelle de la prière, telle qu'elle est souvent pratiquée ! La prière n’est pas mouvements de prosternation ou autres exécutés par le corps, ni incantations rabâchées par la langue, ni peur d’un châtiment, vite oubliée pour récidiver dans le péché - et il en est ainsi dans toutes les religions. Il n'y a aucune valeur à une telle prière, sauf qu’à la considérer comme une soumission à l'autorité d'un système sacerdotal (dans n'importe quelle religion), et à intégrer son emprise et l'étendue de son influence. Elle n'améliore pas le comportement des gens, ni leurs attitudes, ni ne les pousse à éviter les horreurs, dont en particulier l'injustice des uns envers les autres.

Les jeunes de cette région, hommes et femmes - qui représentent l’écrasante majorité de la population - ont mené deux soulèvements majeurs en moins de dix ans, ponctués de multiples actes de résistance, et cela partout dans la région.

 Ce qu’il s'est passé après 2011 est terrifiant, et continue à se produire dans plus d'un endroit, ou alors ses effets demeurent opérants. Ce qu’il se passe maintenant après 2019, est frustrant, et toujours en cours au Liban, en Irak, en Algérie, en Tunisie et au Soudan... Le courage ne manquait pas, ni la disposition au sacrifice, même à celui de la vie. La volonté et la détermination ne manquaient pas non plus. On dit que la victoire de la contre révolution s’explique par l'absence de cadres organisateurs, ou de programmes et de plans chez celles et ceux qui se sont soulevés. On dit que les forces au pouvoir sont déterminées à aller au-delà de l’entendements, dans les atrocités et la destruction des sociétés afin de préserver l’emprise d'une poignée de gens, devenus un simple groupe de pilleurs et de prédateurs. On dit encore que les "équilibres" régionaux et mondiaux traversent une période de "turbulences", ayant fait tomber tous les concepts et règles connus, et que cela autorise leurs forces à intervenir - ce qui est devenu facile avec la "mondialisation" et le chaos - et que celles-ci interviennent pour contrecarrer le changement, ou pour le plier à sa volonté, conformément à ses intérêts… Tout cela relève certes du bon sens.

Mais peut-être que le dysfonctionnement est ailleurs, bien au-delà de toutes ces considérations. Il est probablement dans le fait que le monde, avec toutes ses équations, a complètement changé, alors que nous suivons toujours la même ancienne carte mentale, ou schéma pour le comprendre, bien qu’avec quelques modifications partielles et insuffisantes. La réflexion réelle et attentive, individuelle et collective, sur ce changement, est peut-être aussi ce qui peut nous amener à toucher en profondeur, la réalité telle qu'elle est, c'est-à-dire dans sa dynamique... Nous entreverrons alors toute la situation, celle du nouveau monde en gestation sous nos yeux (et qui d’ailleurs nous menace d'anéantissement !).

 Nous percevrons aussi ce qu’il en sera entre lui et nous, ce que nous aurons à faire et comment le faire… puisque « la route se trace dans le sillage de nos pas » et que ce qui est exigé aujourd'hui, c'est « l'invention, l'action et la preuve du mouvement par la marche ».

Et c’est bien pourquoi toutes les questions demeurent ouvertes !

• Traduit de l'arabe par  Saïda Charfeddine

Edito du Assafir al Arabi du 2-12-2021 


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