L’état effrayant du monde!

L’ombre des effroyables forces déchainées qui menacent du pire, comme une nouvelle guerre américaine dans le Golfe, englouti des événements majeurs en cours. Ainsi, l’inspirant mouvement de contestation soudanais, totalement extraordinaire, comme celui de l’Algérie qui perdure sans que ne le perturbe ni le jeûne du ramadan ni les tergiversations risquent d’être balayés pour des considérations «géostratégiques».
2019-06-10

Nahla Chahal

Professeure de sociologie politique, redactrice en chef de «Assafir Al Arabi»


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Omran Younes - Syrie

Des scientifiques de l’environnement – qui figurent parmi les milliers de noms reconnus et respectés qui ont signé une pétition mondiale lancée l’année dernière mettant en garde contre la dangereuse dégradation des conditions environnementales – ont récemment réaffirmé que la vie sur la planète Terre était sérieusement menacée du fait du comportement des êtres humains. L’extinction des espèces vivantes, animales et végétales, s’accélère à une cadence impressionnante, et signale un dérèglement profond de l’équilibre écologique sur terre. Ce dérèglement, mortel, a atteint un rythme de détérioration effrayant durant les dernières décennies.

Les pollueurs ne sont pas uniquement les gens ordinaires et leurs modes de vies – qui sont des choix imputables au consumérisme excessif et à la culture du gaspillage – mais ce sont surtout les industries lourdes dans toutes leurs formes et les guerres… Soit la politique des forces dominantes.

Mais, ces scientifiques disent également que la Terre se renouvèlerait et « guérirait » en quelques années si les humains venaient à disparaitre ! Cette estimation pourrait appuyer les visions eschatologiques, apocalyptiques ou autres pessimismes en tout genre... Mais il s’agit bien là d’une estimation purement scientifique!

Lors de la cérémonie d’ouverture du festival du Cinéma de Cannes, le président du jury de cette année, le réalisateur mexicain Alejandro Gonzalez Inarritu, a mis en garde contre une nouvelle guerre mondiale, évoquant un climat semblable à celui de 1939. Il a parlé de « la frustration, la colère, les mensonges et l’ignorance » caractérisant les dirigeants qui gouvernent le monde, et, bien sûr, du mur que Trump a l’intention d’ériger entre les Etats-Unis et le Mexique pour empêcher l’immigration, qualifiant ce genre d’actions de «solutions illusoires».

Au moment même, Washington envoyait des équipements militaires supplémentaires dans le Golfe, y déplaçant portes avions et avions et rapatriant ses ressortissants d’Iraq. Tout comme les pays Européens ont arrêté leurs divers programmes de formations civiles dans ce pays et rappelé leurs chargés de mission.

Il a semblé que la guerre avec l’Iran était désormais « possible » ou, du moins, qu’elle n’était plus totalement exclue. John Bolton est souvent tenu pour responsable de cette tendance, le conseiller actuel du président à la sécurité nationale était l’un des initiateurs de la guerre menée par le président Bush sur l’Iraq. Dans les jours à venir Bolton va débuter une tournée en Europe pour soutenir les partis fascistes ou quasi-fascistes d’extrême droite. Cet homme possède une perception stratégique du « monde tel qu’il devrait être », qu’il veille à appliquer. Il a le support du nouveau ministre de la défense, Patrick Shanahan, qui a travaillé toute sa vie dans l’énorme industrie militaire américaine à laquelle est allouée la moitié du budget national des Etats Unis!

S’ajoute à Bolton et Shanahan, le vice-président Pence et le secrétaire d’Etat Pompeo, mais aussi l’incitation permanente de Netanyahou contre l’Iran qu’il considère comme étant le danger numéro un. Ce dernier imagine, tel un gamin dans la cour de récréation d’une école primaire, qu’il est possible de faire disparaitre ce qui le dérange d’un coup de pied colérique ! Il partage ce rêve avec les nouveaux dirigeants du Golfe, Ben Salman et Ben Zayed, qui sont également « belliqueux » et qui, semble-t-il, pensent qu’il s’agit d’un jeu d’« Atari » comme ceux auxquels ils jouaient durant leur enfance et adolescence. Peut-être que l’ignorance (qui est la quatrième caractéristique citée par le réalisateur mexicain) les rendent inconscients des risques immédiats qui s’abattront sur leurs propres pays et sur eux personnellement… mais bon.

Pendant ce temps, les forces israéliennes ont ouvert le feu sur les manifestants à Gaza à l’occasion de la commémoration de la Nakba - le 15 Mai – causant des morts palestiniens et des dizaines de blessés.

Mais, l’attention du monde était dissipée. Les gens n’ont même pas remarqué un acte qui pourtant plaît d’habitude énormément : les cyber pirates (les hackers) ont réussi à saboter la diffusion de l’Eurovision qui a eu lieu à Tel-Aviv cette année, entrecoupant sa transmission d’images d’explosions (factices) dans la ville.

Cet état de torpeur camoufle également ce qui se passe dans plusieurs endroits : au Yémen où la guerre, qui entame sa cinquième année, provoque famine et choléra. Trump affirme qu’elle est « nécessaire », qu’il la soutient et qu’elle va durer puisqu’elle fait partie de la confrontation avec l’Iran.

Au huitième jour du Ramadan, des commandos armés « non identifiés » ont attaqué le sit-in des manifestants soudanais pacifiques devant le siège de la présidence de la République et du quartier général de l’armée. Ils ont tiré dans le tas, faisant tomber 6 jeunes parmi lesquels un officier de l’armée, ainsi que des centaines de blessés. Le Conseil militaire de transition, par le biais de son président le général Al-Burhan, s’est désolidarisé de l’acte et a dénoncé les faits, promettant de juger les coupables. Cependant, Al-Burhan sait bien que c’est le vice-président du conseil, le général Hamditi, connu pour sa rudesse, qui a commis ce crime. Ce dernier commande les « forces d’intervention rapide » semi-régulières (ancien « Janjaweed » qu’a fondé Al-Bachir lui même). Ces forces se sont illustrées par les atrocités qu’elles ont commises au Darfour durant la première décennie du 21eme siècle. Hamditi est le héros du moment, choisi par l’Arabie Saoudite et les Emirats. Sous la pression des manifestations, des tensions autour du pouvoir à Khartoum sont apparues et le général « Hamditi » a été sommé de choisir entre rester vice-président et quitter le commandement de cette redoutable milice, ou continuer à être son chef et se retirer de la capitale pour revenir à la tâche de la « protection des frontières » (contre les migrants africains, surtout du Tchad, mission soutenue publiquement et financièrement par les pays européens !). Il a prétendument fait le choix de la dernière option alors qu’il convoite les deux postes et voudrait même être promu à la présidence du Conseil à la place d’Al-Burhan, se fondant sur sa capacité à réprimer sauvagement et sur le support financier du Golfe et l’appui logistique de l’Egypte…

Le mouvement populaire au Soudan s’est distingué depuis sa naissance et durant les cinq derniers mois par son caractère pacifique, son amplitude, la rigueur et la prudence de ses représentants politiques. De par ces caractéristiques, ce mouvement est apparu comme étant capable de faire face à un pouvoir d’une effroyable bassesse, pour neutraliser son mal avec le moins de pertes possibles, et a mené à cette fin des négociations avec le Conseil militaire de transition.

Le caractère extraordinairement exemplaire de cette expérience inspirante (et de celle de l’Algérie qui perdure sans que ne la perturbe ni le jeûne du ramadan ni les tergiversations) pourrait être oublié, et l’expérience elle- même pourrait passer sous silence, engloutie par l’ombre des effroyables forces déchainées qui menacent du pire!

Traduit de l’Arabe par Fourate Chahal Rekaby
Edito du Assafir al-Arabi du 16 mai 2019


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