Assafir al Arabi
Le carnage que subit Gaza depuis quatre mois vient couronner un long processus de démantèlement de toutes les règles et coutumes que le monde a connu depuis l’instauration de la « modernité » et de ses principes et lois. Il annonce les traits du nouveau monde qui s’instaure et, de ce fait, possède une importance extrême qui dépasse la question palestinienne.
Ce carnage, d’une intensité sans précédent, se passe devant les yeux du monde entier qui l’observe en temps réel. Il est accompagné par le refus du conseil de sécurité de décider d’un cessez le feu, alors que la tragédie de la population gazaouie a atteint des proportions inimaginables, apocalyptiques[1], alors que des ministres israéliens en exercice annoncent publiquement - et assument fièrement - la privation totale de cette population de nourriture, d’eau, de médicaments et de refuges. Les bombardements sont activement soutenus par le peloton de tête des grandes puissances Occidentales, avec l’approbation ouverte ou tacite de certains pouvoirs et États appartenant au « Sud ».
Le spectacle donne à croire que la sauvagerie extrême et décomplexée qui se déploie à Gaza mais aussi dans toute la Palestine, est voulue non pas comme moyen de gagner « la guerre » contre le mouvement de résistance palestinienne, mais pour terroriser les autres « spectateurs » et, surtout, pour annoncer l’absence totale de limites.
Un premier exemple : Au moment du bombardement du premier hôpital (le Baptiste, al Ahli), Israël a nié sa responsabilité, mais par la suite et très rapidement, tous les hôpitaux ont été bombardés et dévastés sans aucune retenue.
Nous ne voulons pas.
03-02-2024
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21-12-2023
L’une des caractéristiques du massacre de Gaza est le règne du mensonge, effronté et lui aussi sans limites. Les exemples se succèdent quotidiennement depuis l’indication de zones ou de routes sécurisées sommant les gazaoui de les pratiquer mais qui seront bombardées quelques heures plus tard, jusqu’aux storytelling des bébés décapités. Ceci aussi a une fonction, celle d’effacer les limites entre la vérité et le mensonge, et de rendre impossible toute construction de convictions.
Étudier les traits que comporte ce massacre est indispensable pour comprendre sa nature, qui est une reprise poussée à l’extrême d’un autre massacre qui l’a précédé – une sorte de « prova d’orchestra », celui commis sur l’Irak et conclu il y a 20 ans par son occupation, son écrasement et sa décomposition par l’axe américano-britannique.
S’il est vrai que ces différents traits sont intensifiés et « accélérés » de façon choquante à Gaza, ils se retrouvent néanmoins dans des dispositifs sociaux, politiques et économiques établis dans différents domaines, et dans des « ailleurs ». Ces dispositifs qui semblent sans lien entre eux disent leur appartenance commune à un système global, celui du capitalisme tel qu’il est dans sa phase actuelle.
En France, pays des Lumières et des droits de l’Homme (en retard sur l’adoption du système « néolibéral » cru, accélérant donc ses pas), l’État de Droit est bafoué et le droit lui-même devient de plus en plus extensible, comme en témoignent la répression brutale des mouvements sociaux, exercée contre les Gilets Jaunes par exemple, et l’accélération de l’adoption des lois d’exceptions (l’article 49.3 de la constitution a été utilisé 19 fois en 2023 pour contourner les discussions et les blocages au parlement de lois voulues par l’exécutif). Il y a un effondrement de la séparation des pouvoirs (adieu Montesquieu !) pour dépasser entre autres des scandales touchant des hommes de pouvoir. Des décisions répétitives concernant l’école et la santé publique vont à l’encontre des promesses (non tenues). Les discriminations violentes (de couleur, de religion, de classe… souvent exercées envers les mêmes populations, dite des « banlieue ») installent un racisme systémique. Il y a une indifférence cynique à l’égard de la détérioration accrue et rapide du climat, qui menace la vie des vivants et du globe, (et la tenue du cap 28 aux Emirats !) La gestion scandaleuse de la question migratoire elle-même, provoquée par ce système de violences, guerres et répressions, de pollutions toxiques et de prédation des ressources des pays du Sud dans tous les continents… Des milliers d’autres exemples de par le monde indiquent la nature du système dominant actuellement, dénommé abstraitement le « néo libéralisme », ce qui ne dit pas son vrai nom.
Ce système installe partout « un futur sans avenir » : se maintenir en vie maintenant et tout de suite est le seul « rêve » possible. C’est pour cette raison qu’il est dit que les conditions de vie des jeunes générations sont en régression par rapport à celles de leurs parents. Que la promesse lu développement continu est chimérique.
Ce qui est ainsi admis comme la norme permet à l’armée israélienne de mener une guerre aussi sanglante, tous les jours, sans hésiter devant le massacre intensif d’enfants, la destruction de toutes les institutions civiles, et sans définir de plans, sans rendre des comptes… exactement ce qui se passe ailleurs sans bombes ou sang ou déplacements de population.
Le lien, la ressemblance, entre ces phénomènes, nous permet de poser des questions essentielles dont les réponses n’appartiennent pas à la rhétorique habituelle qui, en fait, est le produit d'un autre monde, disparu.
Le massacre en cours à Gaza, a mis à nu l'état actuel du monde. Il a dévoilé l'ineptie des discussions autour d’« un État palestinien cohabitant avec Israël » ou autres formules proposées pour distraire la galerie et l’assoupir.
Ce que Gaza a montré, comme le fait un tirage de photos d’une pellicule de négatifs – sans l’inventer et peut-être même sans le vouloir – est d’une importance historique majeure. Ceci explique l’identification ressentie par les communautés des « indigènes » descendants de peuples décimés, tels ceux des Amériques, la solidarité sans faille de peuples opprimés - l’Afrique du Sud n’en est qu’un exemple, et l’énorme sensibilité à l’égard de Gaza et de la Palestine des jeunes générations occidentales elles-mêmes écrasées sous la constatation de leur superfluité, et qui voient en quelque sorte dans ce carnage cynique une projection de leurs avenirs.
Sous l’hégémonie de quel capitalisme vivons-nous ?
Ce n’est certainement plus celui décrit par Marx ! la plus-value n’est plus le fruit du travail des ouvriers qui transforment les matières premières en marchandises. Le capitalisme n’est plus tributaire de la production des biens mais de la spéculation financière, immobilière, et de la prédation ouverte. Il n'est plus l'organisation privative de la production de biens et de services. Le capitalisme contemporain est celui de la spéculation financière illimitée, les transactions spéculatives représentent plusieurs milliers de fois la production « réelle » à laquelle la raison devrait les restreindre. La fin de la parité fixe du dollar et la déréglementation initiée au début des années 1970 a abouti à cette transformation majeure où les banques, les sociétés financières et les holdings multinationales sont des créateurs de valeurs monumentales, très largement fictives, qui résultent de logiques de montages financiers générateurs de gigantesques profits mais qui génèrent aussi des crises d'ajustement récurrentes, d'une très grande violence, comme celle de 2008.
Le système politique s’adapte à cette réalité, dont il est le fruit. Le lien entre l’État et la société est foncièrement perturbé, ce qui permet au pouvoir politique de se désengager de ses devoirs à l’égard de la société - qui n’est plus partie prenante de la production des richesses – et donc de négliger ses « doléances » ! C’est une rupture majeure sur laquelle les partis dits de gauche, les syndicats, et même les mouvements contestataires les plus radicaux devraient se pencher pour élaborer des idées et des analyses adaptées à cette réalité présente, et développer les concepts et les stratégies nécessaires pour récupérer une efficacité (perdue), au lieu de ressasser les formules du passé, dépassées, se contentant de dénoncer les brutalités qu’ils subissent.
Qui est Israël aujourd’hui ?
Il n’est plus un outil aux mains de l’impérialisme, cette conviction est devenue simpliste. Il n’est plus un colonialisme de population comme l’a été, par exemple, la France en Algérie. Israël est aujourd’hui un acteur majeur et mondial de ce capitalisme spéculatif dominant, et un producteur de technologies (les high-tech, armes et moyens de contrôle) au service du maintien de ce système. Il est aussi un producteur d’outils de la consommation effrénée de « gadgets » au service du spectaculaire et de la distraction, qui fait avaler la pilule amère de l’absence d’avenir.
Il faudrait étudier l’évolution d’Israël depuis les « gentils » Kibboutz jusqu’au Silicon Wadi de Tel Aviv, (« Vallée du silicium »), depuis les personnalités ashkénazes éduquées qui étaient fondatrices et dominantes (avec néanmoins la forte dose de violence et de colonialisme qu’on connait) et les dirigeants actuels d’Israël, criminels psychopathes se reposant sur une large base sociale des colons primitifs qui terrorisent la Cisjordanie et Jérusalem et les pillent. Il faudrait examiner ce changement et ce qu’il induit, sociologiquement, politiquement, économiquement et aussi au niveau de la « conscience de soi » et des valeurs et éthiques qui le guident.
Les « influenceurs » !
Les conseils d’administration des banques et holdings multinationales, ceux des méga-entreprises stratégiques ont construit des logiques d’influence qui façonnent décisivement le fonctionnement « démocratique » des États. La base idéologique de cette domination est la mise des institutions étatiques au service des déréglementations et des privatisations, donc de la réduction du rôle de l’État ! Cette influence est obtenue grâce à la proximité sociale des élites de pouvoir et la corruption. Cette collusion opérationnelle est masquée par la mainmise sur les médias qui orientent avec une très grande efficacité les opinions publiques.
Originaires des mêmes milieux sociaux et formés dans le même moule éducatif, les personnels de pouvoir qui se succèdent à la tête de ces pays peuvent diverger sur des questions secondaires et se déchirer dans leur course au pouvoir mais sont tous tributaires des puissances économiques actuelles dont ils partagent la vision du monde.
Quelle situation autour ?
Un bordel sans nom règne partout. En Irak en Syrie au Liban en Égypte au Soudan en Tunisie et en Libye. Une honteuse décadence qui écrase les populations sous la répression, la paupérisation jusqu’à famine et l’installation du désespoir (une trinité bien rodée). Des groupes mafieux, des plus grands au plus petits- gèrent tous les aspects de la vie quotidienne, ils sont bien structurés, avec des rôles et des places définis par le pouvoir lui-même. Une corruption endémique enveloppe ces pouvoirs et les sociétés à la fois.
10 chansons pour Gaza
28-01-2024
Comment se fait-il que les Emirats (un petit pays et une population qui n’excédait pas 900 milles âmes en 2010, devenue 2 millions grâce aux naturalisations sélectives et recevant 6 millions de travailleurs sur son sol) soient plus importants que la grande Egypte ? Que Dubaï joue un rôle destructeur au Soudan et au Yémen, place des « ports » sur la cote de la corne de l’Afrique et se rêve en Israël du Golfe, pratiquant des relations chaleureuses avec celui –ci même durant le massacre de Gaza, envoyant des secouristes en Israël et naturalisant des milliers d’Israéliens ? Quelle formule magique (au-delà de l’arrogance) ? Les Emirats sont un maillon actif dans le système capitaliste spéculatif. Ils en sont un acteur majeur, une excellente synthèse de l'idéal économique du marché global, à mi-chemin des capitales européennes et des centres de production asiatiques, Dubaï abrite une place financière extrêmement importante en termes de volumes d'échanges qui permet - et ce n'est pas un petit avantage - de maintenir une grande opacité sur la nature des transactions. Assurés de relais internationaux très puissants qu'ils alimentent financièrement, les émirats disposent d'une capacité d'influence (et de nuisance) incomparablement supérieure à celle de l’Égypte mendiante et vassalisée des généraux égyptiens.
Ce texte est une ébauche proposée pour la réflexion. Il sera suivi par des textes relatifs aux points qu’il soulève, sans prétention de les « compléter » ou de clore des discussions, commentaires, critiques…nécessaires, que Assafir al Arabi accueillera avec intérêt. Ecrire à : arabi.assafir@gmail.com
- Israël a largué jusqu’à fin novembre 2023, sur la bande de Gaza (364 km2), 40 milles tonnes d’explosifs de différentes natures (y compris des bombes au phosphore et à fragmentation) ce qui équivaut ou même dépasse les deux bombes atomiques larguées par les Américains à la fin de la 2eme guerre mondiale sur Hiroshima et Nagasaki. Israël n’a pas depuis cessé ses bombardements. ↑