• La guerre est une formidable source d’enrichissement pour les industriels américains.
• les méthodes de propagande pour la 1ère guerre mondiale présentent de surprenantes similitudes avec celles auxquelles les stratèges de Washington ont eu recours lors de la guerre contre l’Afghanistan, contre l’Irak ou contre le terrorisme.
• Le but était d’imposer le consentement du public à toutes les aventures guerrières.
• Si Washington est bien la capitale d’un Empire global, prédateur et belliqueux, la première victime de ses politiques est bien le peuple américain.
Le premier volet d’une ambitieuse trilogie, entièrement réalisé grâce à une souscription et aux moyens propres des auteurs, sort cette semaine sur les écrans en France. Olivier Azam et Daniel Mermet ont entrepris de porter à l’écran l’histoire populaire des États-Unis de Howard Zinn.
Howard Zinn, historien et militant
Ce premier film d’une durée de 101 minutes est une libre adaptation de l’ouvrage de l’historien et militant Howard Zinn publié à la fin des années 1990. Contre toute attente, le livre a rencontré un vaste public. Plus de deux millions d’exemplaires ont été vendus auprès du public américain. Ce succès d’édition n’a bien sûr pas fait plaisir à tout le monde. Ainsi un gouverneur et un recteur d’université ont voulu interdire l’étude du livre. Mais malgré tous les obstacles, les Américains ont pu redécouvrir des séquences occultées de leur histoire, à cent coudées des clichés hollywoodiens, grâce à cet historien hors du commun disparu en 2010.
Comme le livre dont il découle, le documentaire contribue à relativiser les puissants mythes forgés par la propagande ultra-capitaliste américaine. S’appuyant sur les travaux de Howard Zinn, le film des réalisateurs français reconstitue l’histoire américaine du côté des plus faibles, des inaudibles, du côté de ceux qui ne sont pas sur les photos officielles, du côté de ceux qu’on n’entend jamais dans les grands médias. Ces millions d’Américains, noirs, immigrants, ouvriers pressurés qui ont construit ce pays dans la souffrance et la résistance.
Ces masses exclues ne pouvaient trouver meilleur chroniqueur que Howard Zinn. L’historien nait en 1922 pendant les années folles où la prospérité post 1ère guerre mondiale s’effondre dans la grande dépression. Les luttes se propagent partout dans le pays pour aboutir au New Deal. Ses camarades plus âgés s'engagent dans les brigades internationales en Espagne. Volontaire dans l'US Navy, le jeune lieutenant Zinn découvre la ségrégation que subissent les soldats noirs, participe au bombardement de Royan, où pour la première fois sont utilisées les bombes au napalm. Sa vision du monde va vraiment basculer : « Si l'ennemi est mauvais, nous ne sommes pas pour autant les bons ». Après la seconde guerre, le jeune vétéran Howard Zinn devient professeur d'histoire, grâce à la bourse d’ancien combattant, le G.I Bill. Avec son premier poste dans un collège d'étudiantes noires du sud des États-Unis, il se retrouve au cœur de la grande révolte des droits civiques des années 1960, prolongements des luttes des abolitionnistes du siècle précédent. Surveillé par le F.B.I. et chassé de son poste, Zinn s'engage dès le début contre la guerre du Vietnam avec son ami Noam Chomsky.
Évoquant ces combats, les captivantes images d’archives doublées d’un récit poétique et d’interviews de Howard Zinn forment le récit rythmé par des événements marquants de l’histoire des États-Unis. Des faits souvent escamotés pour ne pas altérer le story-telling officiel du « rêve américain » et mettre à mal les poncifs hollywoodiens. On ne le sait pas assez et le film le montre : les luttes sociales aux États-Unis ont été d’une violence inouïe, le patronat, contrôlant complétement le monde politique, a eu recours à tous les expédients les plus sanglants qu’autorise un immense arsenal répressif.
L’Amérique prolétarienne et l’Amérique de la Ploutocratie
Pourtant malgré la férocité de la répression, les travailleurs enregistreront des victoires qui s’élargiront au reste du monde industrialisé. Par exemple, la journée de huit heures de travail a été obtenue grâce à la lutte d’ouvriers de la ville de Chicago. C’est à la suite de manifestations dans le quartier de Haymarket, où plusieurs personnes ont été tuées par la police et des milices privées, que cette revendication de réduction du temps de travail s’est concrétisée.
Le livre et le film montrent également comment les grands capitalistes américains comme Carnegie, JP Morgan ou Rockefeller, qui sont habituellement présentés comme des héros , icones de l’american success story, ont bâti leurs fortunes. Pillage, répression, exploitation et meurtres ont été les instruments d’une phénoménale accumulation de richesses. Les baron-voleurs, pères fondateurs du libéralisme moderne ont usé de tous les pires moyens, de l’extorsion au crime.
Ces milliardaires engageaient des milices privées – comme la célèbre agence Pinkerton, ancêtre de la société de mercenaires Blackwater - soutenues par l’armée pour museler les ouvriers. Le film revient sur la grève de 1914 des mineurs de Ludlow, au Colorado, qui a tourné au bain de sang. Plus d’une année de lutte s’est achevée dans la mise à mort de soixante-quatre innocents, dont des femmes et des enfants. A l’époque, le New York Times appelait le gouvernement à mettre fin au « désordre », démonstration implacable de la collusion continue, de la symbiose même, entre la « grande » presse américaine et les seigneurs de Wall-Street.
Les réalisateurs de L’histoire populaire des États-Unis ont donc renoué les fils de l’histoire jusqu’à la première guerre mondiale. La guerre, le documentaire le montre très directement, est une formidable source d’enrichissement pour les industriels américains.
Le gouvernement américain avait cependant le plus grand mal à faire accepter aux citoyens de s’engager dans cet infernal carnage. Pour tenter de convaincre l’opinion, il a fallu faire appel à une étonnante action massive d’agit-prop et de répression. Pendant que des milliers de tribuns grassement payés, qu’on appellerait communicants de nos jours, investissent places publiques et salles de concert, les militants pacifistes sont arrêtés et jetés en prison.
Des méthodes de propagande qui présentent de surprenantes similitudes avec celles auxquelles les stratèges de Washington ont eu recours lors de la guerre contre l’Afghanistan, contre l’Irak ou contre le terrorisme. Le film offre des images saisissantes d’une pratique constante pour imposer le consentement du public à toutes les aventures guerrières.
La face cachée de l’Empire
Quand le mot « fin » s’affiche sur l’écran et que se rallument les lumières de la salle de cinéma, une question vient immédiatement à l’esprit du spectateur : comment peut-on encore qualifier les États-Unis de plus grande démocratie du monde ?
Au sud du monde (mais pas seulement), les États-Unis sont souvent représentés comme une totalité agressive et menaçante. Au risque d’une approche réductrice. Car si Washington est bien la capitale d’un Empire global, prédateur et belliqueux, la première victime de ses politiques est bien le peuple américain. L’indiscutable mérite de ce documentaire est de montrer que l’exploitation impitoyable des couches laborieuses américaines constitue le socle historique d’une hégémonie belligène, exclusivement animée par la recherche du profit. Les dirigeants de cette ploutocratie armée exportent ce qu’ils mettent en œuvre sur leur territoire d’origine.
Le peuple américain, ses classes laborieuses, leurs luttes et leurs espoirs, apparait en pleine lumière. Et ce peuple est l’un des peuples du monde qui souffre et se bat sous la botte d’un système qui élève l’injustice au rang de vertu cardinale. L’exceptionnalisme américain est réduit à ce qu’il est réellement : un mythe de plus au magasin des propagandes. C’est sous cet aspect, solidaire et humain, que le documentaire d’Azam et Mermet est pleinement en phase avec l’ouvrage de Zinn.
Une trilogie en construction
Le film n’a obtenu aucune aide publique en France. Une démonstration supplémentaire, s’il en fallait, que les discours à contre courant de la pensée dominante dérangent toujours malgré les professions de foi répétées sur la liberté d’expression et la nécessaire diversité d’opinions. Produit par la coopérative Les Mutins de Pangée, le film a été financé entièrement par une souscription populaire.
Si le documentaire, qui sort en salles en France le 29 avril, obtient le succès escompté, les réalisateurs promettent une suite en deux parties qui couvriront la période allant de la conquête du « nouveau » monde avec le génocide des amérindiens, la traite et l’esclavage jusqu’à la seconde guerre mondiale. Le deuxième film sera financé en partie sur les recettes du premier film et ainsi de suite pour le troisième. Le succès en salle et en DVD du premier film est donc déterminant. Selon les réalisateurs, les débats autour de ce premier film contribueront à la réflexion sur la suite de cette œuvre en construction.
Au total donc, si tout fonctionne, trois films sont prévus, avec pour fil conducteur le livre majeur d’Howard Zinn « Une histoire populaire des États-Unis ».
Dans le deuxième volet, les réalisateurs envisagent de revenir au génocide des amérindiens, à la conquête permanente de nouveaux territoires et de nouveaux marchés. Seront abordés dans le troisième volet (le focus est la guerre froide) le maccarthysme et sa « chasse aux sorcières ».
Liens utiles :
Le site du film
Le site des Mutins de Pangée
Le site de l’émission « Là-bas si j’y suis » de Daniel Mermet