Le 19 juin 1965, le colonel Houari Boumediene, vice-président du Conseil du gouvernement, chef d’État major de l’ANP et ministre de la Défense renverse par un coup d’État militaire le président en exercice Ahmed Ben Bella. La résistance au nouveau régime militaire s’organise autour de l’ORP (Organisation de la résistance populaire), le 28 juillet 1965, Mohammed Harbi et Hocine Zahouane lancent un appel à la résistance. L’armée et les services de la sécurité militaire hérités du MALG ont tôt fait d’arrêter les initiateurs de l’ORP parmi lesquels Mohammed Harbi, Hocine Zahouane, Lemnouer Merouche, Tahar Zeggagh, Bachir Benzine, Madjid Bennacer ainsi que d’autres militants communistes (dont Abdelhamid Benzine secrétaire général du PCA) ou de la gauche du FLN.
Torturés pour certains d’entre eux, mis au secret puis assignés à résidence, Mohammed Harbi et Hocine Zahouane parviennent à s’évader en 1973. Arrivés à Rome (Italie) ils font une déclaration politique d’une extraordinaire pertinence quant à l’histoire du temps présent.Certains passages ont une étrange résonance soixante ans plus tard.
« La concentration progressive des pouvoirs entre les mains de BOUMEDIENE, les luttes de clans, la crise de la productivité, le gaspillage des ressources, la circulation incontrôlée des marchandises et des capitaux, le pillage et la corruption sont des traits inhérents à la bourgeoisie bureaucratique. Le mythe de son efficacité s'effondre devant l'inefficacité des mythes destinés à cacher son impuissance. »
Il suffit de changer quelques noms, de remplacer « la bourgeoisie bureaucratique en formation dans le cadre de l’État » par la classe-Etat au service d’une oligarchie capitaliste néolibérale prédatrice et corrompue.
Pour mémoire, la revue NAQD leur rend hommage ainsi qu’à tous les opposants au pouvoir militaire en publiant l’appel à la résistance du 28 juillet 1965, la déclaration de Rome de mai 1973 ainsi que les CV de Harbi et Zahouane datés de 1965.
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Hocine ZAHOUANE et Mohammed HARBI enfin libres !
Leur déclaration :
L'inachèvement de tentative libératrice esquissée en 1963 avec l'autogestion ouvrière et paysanne et son remplacement par un régime se référant au socialisme réduit à une simple idéologie du développement, nous fait un devoir de dénoncer les fausses interprétations de la question algérienne et les faux prétextes qui esquivent la réalité de ce qu'est le pouvoir politique.
Ni le brouillard de la propagande ni la complaisance à l'égard de l'accompli ne sauraient masquer le fait que les producteurs algériens sont radicalement expropriés de la gestion de l'économie et les citoyens de la direction de l'État. À tous les niveaux de la société se déploie une force coercitive des appareils répressifs. Complément^ indispensables à leur action, l'alibi nationaliste, la manipulation de la religion, la
censure et le contrôle de la circulation des hommes tentent de créer en Algérie une nouvelle « ligne Morice » qui garantirait le monologue des bénéficiaires du pouvoir et persuaderait les masses que la liberté politique n'est pas le plus profond des besoins.
C'est pourquoi, l'alternance des pressions et des ouvertures en notre direction n'a pas entamé notre refus de donner une quelconque caution à un régime fondé sur l'exploitation et la suppression des libertés. En cela nous nous différencions des nostalgiques du passé comme de ceux qui veulent faire des masses opprimées de notre pays une force d'appoint au service d'une fraction de la bourgeoisie bureaucratique préalablement gratifiée d'une étiquette anti-impérialiste.
Notre hostilité au coup d'État du 19 juin reposait sur la conviction amplement vérifiée aujourd'hui que la bureaucratie bourgeoise en formation dans le cadre de l'État, prolongement de la direction paraétatique forgée au cours de la guerre au sein de l'armée et du FLN, ne reconnaissait plus en BEN BELLA son porte drapeau et avait jugé le moment venu d'en finir avec l'équilibre instable entre les classes et de s'accaparer le monopole de l'initiative politique.
Huit années ont passé. Après une période de pause destinée à créer le vide autour d'elle par la répression des opposants et l'assujettissement des organisations de travailleurs, la bourgeoisie bureaucratique a cherché à tâtons à mettre en place les instruments propres à assurer sa domination et à augmenter ses profits. La société a changé de physionomie.
Que reste-t-il de la gauche en Algérie?
27-11-2018
Des transformations sont intervenues mais les réponses apportées au problème de la récupération nationale des richesses, de l'industrialisation, de la réforme agraire, de la libération des femmes, de l'État ont seulement changé les termes des contradictions du régime.
Toutes les mesures ont simplement élargi la base sociale de la bourgeoisie d'État au
lieu d'intégrer, dans les circuits économiques, les centaines de milliers d'hommes qui
attendent du travail. La production de l'inflation du chômage, l'exportation des
hommes témoignent qu'avec ou sans le plan, la réalité de l'économie échappe aux
gouvernants.
Les critiques faites le 19 juin 1965 à BEN BELLA pourront être adressées avec plus de
force à ses successeurs. La concentration progressive des pouvoirs entre les mains
de BOUMEDIENE, les luttes de clans, la crise de la productivité, le gaspillage des
ressources, la circulation incontrôlée des marchandises et des capitaux, le pillage et
la corruption sont des traits inhérents à la bourgeoisie bureaucratique. Le mythe de
son efficacité s'effondre devant l'inefficacité des mythes destinés à cacher son
impuissance.
Le projet socialiste a été falsifié. Force est de l'expliquer à nouveau. Le manque de
précision sur la nature et les formes de l'oppression en Algérie, la compréhension
partielle des tendances du développement, restent les clés des mésaventures des
révolutionnaires et de l'absence d'une politique autonome au service des exploités.
Les contradictions entre adeptes de l'initiative privée et partisans de la gestion
étatique restent secondaires face à leur commune opposition aux damnés de la terre.
L'enrichissement scandaleux des uns et des autres révèle leur interaction dans la
rivalité et la solidarité, ainsi que leur dépendance commune à l'égard du marché
capitaliste mondial.
Les dangers extérieurs dont l'idéologie officielle use à volonté constituent un abri
naturel qui permet à la classe dominante d'estomper la différenciation sociale au sein
de la société algérienne. Le seul moyen de les éviter est de libérer l'énergie créatrice
des masses et de rétablir le pouvoir de la libération, seule source de légitimité.
Malgré le mécontentement des masses, la détérioration du niveau de vie et le
blocage des salaires dans de larges secteurs, la lutte pour des changements décisifs
irréversibles, doit s'inscrire dans une stratégie de longue durée, exclure les complots
et les conspirations, prendre appui sur la prise de conscience des masses, et
s'attacher d'abord à la clarification des questions fondamentales qui se posent au
mouvement révolutionnaire. Le renouveau est à ce prix.
Le combat du peuple palestinien pour sa libération est aujourd'hui la pointe la plus
avancée de la lutte pour la libération nationale et sociale dans le monde arabe. Il est
le nôtre. Avec tous les révolutionnaires nous considérons comme notre devoir d'y
participer et de le défendre contre le sionisme, l'impérialisme et les classes
dirigeantes arabes qui sont ses fossoyeurs.
Rome, mai 1973
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Se taire. Ne cédez pas à ce chantage.
La démocratie ce n'est pas le désordre, c'est l'ordre dans lequel le peuple se reconnaît. Ce n'est pas en dissimulant les contradictions et en les transposant au sein d'appareils qu'on les résout. C'est en laissant l’ensemble du peuple algérien (et à lui seul) assumer ses responsabilités.
Travailleurs !
Vous avez un cadre organisationnel tout indiqué pour votre action : ce sont les syndicats. Faites-en votre instrument. Chassez-en les bureaucrates serviles qu'on vous a imposés. Rassemblez vos forces indépendamment du F.L.N. Vous pourrez ainsi veiller à ce qu'à 1'occasion de réformes de structures indispensables, la bourgeoisie ou les sociétés étrangères ne reprennent les biens expropriés.
Mais ne séparez pas votre combat économique de classe du combat politique
pour la démocratie. Créez des comités pour la convocation d'une assemblée constituante, étape indispensable sur la voie du socialisme autogestionnaire.
Exigez que toutes les tendances, tous les courants politiques – même ceux
que vous combattez et à la condition qu'ils acceptent les règles de 1a
démocratie – puissent s'exprimer librement.
Que les prisonniers politiques sortent de prison!
Que les exilés réintègrent sans danger le territoire national !
Que le pays se ressaisisse, qu'il débatte de ses orientations et que le
peuple tout entier ait le sentiment d'être le seul maître de son histoire !
BRUXELLES. le 26 novembre 1978.
Mohammed HARBI, Hocine ZAHOUANE.
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-Hocine Zahouane
Militant du M.T.L.D. (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques). Adhère au F.L.N. en 1954. Arrêté en en 1955. Libéré en 1957. Gagne le maquis en Wilaya III. La quitte en 1959 porteur d'un rapport à I’intention du ministre de la défense. Ce rapport s'élevant contre les purges en Wilaya III. Affecté à l'Etat-major aux Frontières. Rentre en Algérie en 1962 dans le cadre de la zone autonome d'Alger.
Membre de la Fédération du Grand-Alger puis du Bureau Politique du F.L.N., chargé de la commission d'Orientation. S'oppose au putsch en 1965. Après cinq années de prison puis de résidence surveillée dans le sud algérien, est libéré en demeurant interdit de séjour dans les principaux centres du pays. Quitte l'Algérie en mai 1973.
-Mohammed HARBI
Membre du M.T.L.D. (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques). Adhère au F.L.N. en 1954.
Membre de la direction de la Fédération de France (propagande et information) février 1957 /avril 1958. Directeur du Cabinet Civil de KrimBelkacem mai 1959/janvier 1960.
Directeur du département «Pays Socialistes» aux Affaires Etrangères (Ministère Krim) février 1960/juin 1960. Participe aux premières négociations d'Evian en tant qu'expert.
Ambassadeur en Guinée jusqu'en septembre 1961. Devient à partir de cette date Secrétaire Général du Ministère des Affaires Etrangères (Ministère Saad Dahlab) jusqu'en octobre 1962. Nommé ambassadeur au Liban. Ne rejoint pas son poste. Devient Conseiller Politique à la Présidence et Directeur de l'hebdomadaire «Révolution Africaine». A été également rédacteur du Programme de Tripoli et de la Charte d'Alger. S'oppose au coup d'Etat de juin 1965.