Interminable fin de règne en Algérie…

La succession du président Bouteflika sera-t-elle l’occasion d’un renouvellement du personnel et de mœurs politiques marquées par la violence et la corruption ? Cette succession est en effet l’un des enjeux des sourdes luttes de pouvoir en cours. La maladie du chef de l’état, même si elle arrange les autres acteurs majeurs, augure des
2014-10-22

Omar Benderra

Economiste, d’Algérie. Membre d’Algeria-Watch


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muwafak kat - syria

La succession du président Bouteflika sera-t-elle l’occasion d’un renouvellement du personnel et de mœurs politiques marquées par la violence et la corruption ? Cette succession est en effet l’un des enjeux des sourdes luttes de pouvoir en cours. La maladie du chef de l’état, même si elle arrange les autres acteurs majeurs, augure des choix délicats qu’il faudra opérer pour assurer l’inévitable relève. Le président de la République n’exerce qu’une autorité très relative, mais le régime se satisfait pleinement de ce chef d’état quasi-inexistant dont l’entourage, son frère en particulier, assure les fonctions. Les arbitrages courants s’effectuent, pas toujours dans la sérénité, entre les principaux dirigeants, mais la préservation du système étant la pierre angulaire d’une négociation parfois tendue entre intérêts divergents, la cohésion d’ensemble est respectée. Le chef du DRS (Département du Renseignement et de la Sécurité, police politique) l’inamovible général Mohamed Médiene, alias « Toufik », et le chef d’Etat-major de l’armée, le général Gaid-Salah, sont les figures de proue des groupes d’intérêts autour des appareils sécuritaires et des puissants hommes d’affaires qui leur sont affiliés. 

Une vie politique artificielle

L’éviction d’Abdelaziz Belkhadem, un apparatchik sans envergure mais longtemps propulsé à l’avant-scène, confident déchu, et candidat potentiel à la succession du président Bouteflika, n’a nullement ému une population complétement indifférente au spectacle offert par des bureaucrates qui tentent, vaille que vaille, de camper des rôles d’opposants dans une mise en scène cousue de fil blanc.
Ainsi les réunions pourtant très médiatisées d’une coordination de « l’opposition » agréée restent sans le moindre écho tant ses protagonistes, en mal de solutions inspirées pour une hypothétique transition politique, sont dénués de toute crédibilité et de tout relais social.
Du côté du pouvoir, les pénibles tentatives de lancer un débat sur une énième révision constitutionnelle échouent également sur le même mur d’indifférence.
 Les citoyens n’ignorent rien du mode de fonctionnement de la dictature, ils savent que les élections sont courues d’avance et que ce personnel politique est intégralement recruté par la police politique. Pour en avoir payé le prix du sang pendant la guerre civile perverse des années 1990, les algériens connaissent intimement le rôle des uns et des autres dans la mise en coupe réglée du pays.
 les larges catégories de la population qui ne bénéficient pas des miettes de rente que le régime distribue pour acheter une clientèle et la paix sociale, tentent de survivre dans un contexte de prix élevés et d’énormes difficultés quotidiennes. Malgré une aisance financière inédite, durable grâce aux seuls hydrocarbures, l’activité est dangereusement atone et le pays n’est pas vraiment administré.
L’importation est la panacée d’un système incapable d’insuffler la moindre dynamique ni de susciter la moindre créativité.
L’Algérie est rentière et inerte, les infrastructures sont intégralement réalisées par des étrangers et où les services publics, de l’eau à la gestion des aéroports en passant par celle du métro de la capitale, sont dirigés par des compagnies étrangères.
Cette compulsion importatrice prend des formes surprenantes. Ainsi certains sites d’information rapportent que des opérateurs auraient importé du pain congelé des Emirats Arabes Unis pour pallier la fermeture quasi-totale des boulangeries pendant les congés de l’Aïd El Adha. Pour être anecdotique cette affaire est révélatrice des mœurs du régime, complétement tributaire de l’extérieur.
On comprend mieux à cette aune le gonflement régulier à des niveaux exorbitants des importations et la chute non moins régulière et alarmante de la production interne. Cette incroyable stérilité est le résultat de la prédation : les commissions et la surfacturation sont en effet le moyen de prélèvement le plus simple permettant la constitution de fortunes colossales à l’étranger. 

Economie informelle, pouvoir informel

Au fil du temps et de la rapine, le déficit de Droit, d’Etat et d’administration se creuse. Très symboliquement, en plein centre d’Alger, le parc immobilier hérité de la période coloniale se désagrège irrésistiblement. Les effondrements d’éléments de façades ou de balcons, tuent ou blessent régulièrement des passants. Les cités nouvelles, construites sans aucun plan d’urbanisation ni infrastructures, érigées à la périphérie des centres urbains, sont de véritables ghettos anarchiques et dangereux. La manne pétrolière a permis le développement de gigantesques banlieues plus hideuses les unes que les autres, dégradées aussitôt construites, soumises à la loi de bandes mafieuses qui rackettent les commerçants et terrorisent la population avec la complicité d’autorités locales qui utilisent les marges criminelles, version algérienne des « baltaguiyas » égyptiens.
La société violentée et livrée à elle-même est cependant fortement travaillée par les courants extrémistes qui parcourent le monde musulman. Le salafisme dans ses déclinaisons les plus bigotes s’installe très visiblement, profitant de l’anomie généralisée. Le discours rigoriste, patriarcal et très manichéen asséné à longueur de journées par les chaines de prédication d’inspiration wahhabite est relayé efficacement par des imams incultes auprès d’une population en mal de repères et de points d’appui moraux. Tant qu’ils ne contestent pas le régime et prônent l’obéissance au pouvoir, ces prédicateurs sont tout à fait acceptés par les diverses polices chargées d’encadrer et de surveiller la population. 

Les généraux et les hommes d’affaires

Car le maintien de l’ordre est bien la seule préoccupation du régime. Toute contestation, à l’image des initiatives du mouvement des chômeurs ou des syndicats autonomes,  est étouffée dans l’œuf ou réprimée brutalement. Certes, l’Etat d’urgence qui a prévalu pendant presque vingt ans a été levé, mais il a été remplacé par une batterie de dispositifs légaux et réglementaires au moins aussi liberticides. L’objectif étant le maintien du statuquo quel qu’en soit le coût social ou humain. Le régime, articulé autour des chefs de la police politique, de quelques généraux de l’armée et des oligarques, n’a d’autre consensus politique que sa propre survie par la répression et le contrôle régalien de la rente pétrolière. Cette organisation ne connait ni Constitution ni Institutions, elle constitue la permanence d’un pouvoir informel qui ne rend compte à personne. Les oligarques installés au carrefour des importations de l’Algérie (céréales, médicaments, produits alimentaires, automobiles…) sont les gestionnaires de fortunes des dirigeants sécuritaires et politiques. Ils assurent l’interface avec les banques privées dans les paradis fiscaux, les acquisitions immobilières des « princes » du régime, et veillant à la redistribution des « rétro-commissions » aux insoupçonnables partenaires étrangers, assurant de plus en plus les relations courantes non officielles avec les dirigeants politiques étrangers. Ainsi, les relations diplomatiques de l’Algérie constituent la dimension la moins significative de relations internationales construites autour de la coopération entre services secrets - le général Toufik étant représenté comme le plus loyal correspondant des services américains et britanniques - et des réseaux de commissionnement avec les structures politiques de pouvoir en Occident.

Immobilisme interne et turbulences régionales

Pour les observateurs habitués à des formes plus conventionnelles, le fonctionnement quasi-clandestin du système, contribue à son opacité et entretient la confusion quant à ses choix et la nature de ses alliances. La dégradation de l’environnement sécuritaire immédiat de l’Algérie, avec la déstabilisation de la région sahélienne et la destruction de l’Etat Libyen, a entrainé des pressions très vives de la part des occidentaux pour une intervention militaire directe de l’Algérie. Les dépenses d’armement ont beau atteindre des niveaux stratosphériques, l’armée algérienne reste une armée du tiers-monde peu en mesure de jouer le rôle de supplétif régional. Le piège est grossier et les dirigeants d’Alger, dont le réalisme n’est pas la moindre des ressources, ont prudemment refusé de se laisser entrainer dans une aventure aux conséquences des plus incertaines. D’autant que la situation sécuritaire intérieure du pays entre mécontentement diffus, montée du « takfirisme », et manipulations diverses, incite à la plus grande prudence. Le terrorisme durable mais très circonscrit, inexplicablement résiduel et aux ressorts très confus, permet le maintien d’un dispositif sécuritaire monumental mais, souvent, curieusement inefficace. Comme en Kabylie notamment, où terroristes « islamistes » et bandits de grands chemins entretiennent un climat délétère. La décapitation sur le modèle de Daesh d’un randonneur français par un groupe inconnu jusque-là nourrit le débat initié au plus fort de la violence des années 1990 sur la subversion, sur les constituants du terrorisme et la nature de ses objectifs. Nul n’oublie que l’Algérie a été le vrai terrain d’élaboration des techniques de guerre psychologique et contre-guérilla développés par les officiers de l’armée coloniale. Les algériens, profondément traumatisés par les paroxysmes de violence des années 1990 et du début des années 2000 (près de 200 000 morts et 15 000 disparus), n’ont aucune confiance dans les discours politiques de quelque nature qu’ils soient. Beaucoup estiment que la mise à bas du régime pourrait, comme ailleurs, entrainer la disparition d’un Etat fragilisé. Les exemples Libyen et Syrien sont présents dans tous les esprits, le coût d’un changement de régime apparait ainsi totalement rédhibitoire.
Mais l’évolution de ce système est inévitable, même s’il est encore trop tôt pour déterminer une tendance.

Supplément à l’article :Des manifestations policières dans les rues d’Alger

A la veille de la commémoration du déclenchement de la guerre de Libération Nationale le 1er novembre 1954, dans un mouvement absolument inédit, plusieurs centaines de policiers des compagnies anti-émeutes (URS, Unités Républicaines de Sécurité) ont créé un choc certain dans la population en manifestant massivement dans les rues d’Alger. Des milliers de policiers ont défilé mercredi 15 octobre dans le calme dans les artères de la capitale en convergeant vers le siège de la Présidence de la République. Les policiers exigent de rencontrer le premier ministre Abdelmalek Sellal pour exposer leurs doléances et négocier une sortie de crise.
Il est intéressant de noter que ces fonctionnaires révoltés se dirigent vers la présidence de la république non pas pour rencontrer le chef de l’Etat mais « seulement » son premier ministre…Le gros des manifestants est principalement composé d’éléments appartenant à des unités anti-émeutes stationnées dans la banlieue de la capitale. Dans une séquence tout à fait originale, des policiers de différents commissariats de la capitale convergent par groupes de quelques dizaines d’individus vers le rassemblement aux portes de la présidence à El-Mouradia, sur les hauteurs d’Alger. La démonstration de force semble parfaitement organisée et coordonnée, les commissariats de police ne sont pas désertés, des agents sont visibles devant les différents sites policiers.
En tête des revendications, le départ du Directeur Général de la Sûreté Nationale, le Général-Major Abdelghani Hamel, un militaire de carrière, dont la gestion, entre autoritarisme, népotisme et corruption, -parfaite synthèse des mœurs du régime - est dénoncée dans les termes les plus vifs. Les policiers comptent présenter au premier ministre une liste d’une vingtaine de revendications parmi lesquelles figurent, outre le préalable du limogeage de leur chef, le doublement du salaire de base et l’accès aux programmes de logements subventionnés. Les policiers voudraient que soit autorisée la création d’un syndicat ainsi que la réintégration de plusieurs milliers de policiersrévoqués.
 Les agents de police souhaitent également la réduction de la durée de service au sein de la police de 32 ans à 20 ans, l’instauration d’une prime mensuelle à la femme au foyer de policier.Dans leur liste de revendications, les policiers contestataires, appartenant majoritairement à des compagnies mobiles, exigent leur retour à leurs affectations originelles en dénonçant la détérioration de leurs conditions de vie et de sécurité. Outre ces doléances de caractère corporatiste ou socio-professionnelles, les agents de policemettent en cause la justice et leur direction dans la dégradation de la situation sécuritaire.
La hausse du banditisme et de la criminalité résultant selon ces policiers de la mauvaise administration de la justice et du laxisme dont fait preuve la haute hiérarchie policière. Ces actions de désobéissances inaugurées dans le sud du pays, à Ghardaïa précisément, sans précédent dans l’histoire des mouvements sociaux algériens, sont en contravention directe avec l’interdiction de manifester dans la capitale ainsi qu’à l’interdiction aux policiers de se constituer en syndicat ou de protester publiquement.
De fait, la police semble observer un mouvement de grève non-dit sur de larges portions du territoire national. Des rassemblements d’agents en uniforme ou en civil et des manifestations sont en effet signalés dans divers points du pays alors même que les barrages et contrôles de police semblent avoir été levés, provoquant dans certains cas, comme à Alger, des embouteillages monstrueux.
Cet incroyable mouvement de rue exacerbe le caractère plutôt surréaliste d’une vie politique en pointillée marquée, au-delà de l’anecdotique« vacance » du pouvoir, par le vide politique. Le chef de l’Etat est absent depuis des mois, Abdelaziz Bouteflika, très malade, ne fait que de très rares – et très brèves – apparitions télévisées où la dégradation de son état de santé est impossible à masquer malgré une profusion d’artifices, d’effets de mise en scène et de montages plus ou moins grossiers.
Le reste est à l’avenant, il n’est de vie politique qu’une sorte de triste spectacle, animé par des médias discrédités, sur fond de dilapidation éhontée d’une rente en extinction.
C’est sur ce fond à la fois morbide et ridicule que les Algériens bâillonnés, entre stupéfaction et perplexité, voient défiler sous leurs yeux, ceux qui les empêchent, depuis le coup d’état du 11 janvier 1992, parfois avec une grande brutalité, de manifester et d’exprimer démocratiquement, leur mécontentement sur la voie publique. Il ne fait guère de doute que ces policiers en rupture n’hésiteront pas demain à réprimer ceux qui auront le front de recourir à un droit auquel ils ont aujourd’hui recours.
La révolte de ces forces répressives qui ne suscite pas, c’est un euphémisme, une grande sympathie populaire, interpelle néanmoins les citoyens qui se demandent s’il ne s’agit pas en l’occurrence d’une péripétie visible de conflits au sommet du pouvoir.  Le contexte nourrit les suspicions et alimente les traditionnelles théories conspirationnistes sur les luttes de « clans » pour la succession du président Bouteflika et le contrôle de la rente. Ces manifestations policières seraient pour certains observateursplus ou moins inspirés, le résultat de manipulations déstabilisatrices et de manœuvres destinées à influencer le cours d’une succession annoncée.
Le clair-obscur du sérail politique algérien autorise toutes les hypothèses. Mais, au-delà de ces constructions, les protestations policières en cours montrent sans ambiguïté la détérioration du climat général qui prévaut dans un pays où l’absence du chef d’Etat n’est que l’un des symptômes de la déréliction de l’Etat lui-même. Crise du système ou non, la rébellion des policiers est la démonstration par l’absurde d’une incompétence stratosphérique et d’une administration à bout de souffle. Très symboliquement, ces défilés policiers sont la forme involontaire mais parfaitement exacte d’une célébration par le régime du soixantième anniversaire de la proclamation du 1er Novembre 1954. Ils révèlent crument, dans une dimension ubuesque, qu’en Algérie la liberté de manifester n’est concédée, aujourd’hui comme hier, qu’à ceux qui sont chargés de l’étouffer. Dans sa dérive crépusculaire, le régime recroquevillé sur lui-même, répressif jusqu’à l’autisme, sans pilote ni direction responsable, en arrive ainsi à être contesté par l’un de ses principaux piliers…
 

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