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«Bienvenue chers frères en Algérie. Vive l’Afrique forte et unie».
Humour noir? Cynisme abyssal? Difficile de déchiffrer l’intention de ceux qui ont fait peindre à la main ces slogans sur les murs fraîchement passés à la chaux d’un centre d’accueil pour migrants en instance d’être expulsés d’Algérie.
Pourquoi souhaiter la bienvenue à des invités que l’on a décidé de forcer à quitter un pays où ils avaient élu domicile?
Ces slogans, tel un message subliminal qui a oublié de se faire subtil, sont en arrière-plan des photos de migrants publiées, il y a quelques jours dans le quotidien algérien « Liberté”, dans un reportage ayant pour titre: “Un rapatriement de migrants en images”.
Les reporters du quotidien algérien ont ainsi été autorisés à suivre et à photographier toutes les étapes d’une opération d’expulsion collective de migrants sub-sahariens vers le Niger: d’Alger la capitale au nord, à Tamanrasset, plus grande agglomération du Sahara algérien.
Le message de “bienvenue” n’est donc pas vraiment subliminal ! Seulement, il n’est pas adressé aux Subsahariens mais à tous ceux qui accusent l’Algérie de mauvais traitements envers les migrants et de manquements à ses engagements internationaux.
Ceux qui accusent sont légion: la Ligue algérienne des droits de l’homme, les journalistes algériens, des centaines d’Algériens signataires d’une pétition intitulée “Nous sommes tous des migrants”, des associations maliennes de défense des émigrés, Amnesty international, Associated Press, CNN, Reuters et jusqu’à l’ONU dont le haut commissariat aux droits de l’homme a publiquement demandé à l’Algérie, en mai 2018, d’arrêter les expulsions collectives de migrants.
Le 5 octobre 2017 - c’est la date donnée par les agents consulaires maliens à Alger à la presse - une campagne d’arrestations à grande échelle de migrants a été lancée par les services de sécurité algériens: les migrants sub-sahariens qui majoritairement travaillent dans les chantiers de construction de toutes les grandes villes du pays sont pourchassés, arrêtés et rassemblés dans des centres avant d’être fourgués dans des bus ou des camions en direction des frontières sahariennes.
La campagne anti-migrants de 2017/2018 a très vite pris des proportions encore jamais égalées en Algérie, elle avait été précédée par une tentative des autorités chargées des transports publics d’interdire aux chauffeurs de bus et taxis de transporter les “migrants en situation irrégulière”.
Le HuffPost Algérie a ainsi rapporté le 27 septembre 2017 le contenu d’une note ministérielle hallucinante: “La direction des transports de la wilaya de Mostaganem informe les chauffeurs de bus et de taxis des longs trajets entre les wilayas du pays qu’il est désormais strictement interdit de transporter les migrants illégaux”. L’instruction ministérielle “conclut en menaçant du ‘retrait de permis de transport’ tous les transporteurs qui n’appliqueraient pas cette règle”, écrit le site d’informations qui relève dans le même article qu’à la grande gare routière de la capitale, les réactions des professionnels des transports, chauffeurs, receveurs, bureaucrates sont toutes unanimes: scandalisés, incrédules: “Maintenant ils veulent qu’on interdise aux Noirs de prendre les bus! Mais pourquoi font-ils ça? Ils veulent chasser les étrangers? Pourquoi ils veulent qu’on reste entre nous?”, dit l’un des chauffeurs de bus au site algérien.
La directive a été finalement retirée le lendemain même, après avoir suscité un tollé général sur les réseaux sociaux ainsi que la colère des transporteurs eux-mêmes, mais les arrestations effectuées par police et gendarmerie ont continué.
A Oran, la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme a dénoncé en novembre 2017 le confinement pendant trois jours d’une centaine de migrants à bord de trains desservant deux grandes villes de l’ouest du pays: Oran et Tlemcen: “Une centaine de migrants confinés de force dans un wagon du train reliant Maghnia à Oran, les portes du wagons fermées de l’extérieur, de la nourriture que l’on fait passer par les fenêtres au milieu de la nuit à des passagers traités comme des criminels, comme des pestiférés, à cause de leur nationalité et de la couleur de leur peau, c’est à ces scènes de la honte qu’ont assisté hier les représentants de la Ligue algérienne des droits de l’homme”, décrit un autre article du HuffPost Algérie qui dénonce “rafles” et “délit de faciès”.
La Ligue algérienne des droits de l’homme a également fait parvenir à la presse locale des vidéos filmées par les migrants eux-mêmes durant leur transport, dans des camions comme du bétail acheminé vers les frontières, au coeur du Sahara, du sud de l’Algérie avec le Niger et le Mali.
Ces expulsions et la brutalité scandaleuse qui les accompagne ont vite commencé à avoir des répercussions alarmantes chez le grand voisin du sud de l’Algérie, le Mali, où des consulats algériens ont été attaqués et parfois saccagés par des groupes de Maliens en colère contre le traitement qui leur a été infligé (à eux ou à leurs proches) en Algérie.
Au Mali, la violence des expulsions collectives par les services de sécurité algériens a alimenté la colère et une tension énorme qui a fini par éclater, en avril 2018, en un scandale diplomatique que les diplomates algériens ont tenté de vite étouffer: Abdrahamane Sylla, le ministre des Maliens de l’extérieur et de l'intégration africaine annonçant que le Mali rappelait son ambassadeur en Algérie en protestation contre le traitement fait aux citoyens maliens en Algérie.
Cette annonce (dûment enregistrée) et rapportée par un journaliste de la BBC a été, le lendemain, indirectement démentie par le ministère des Affaires étrangères algérien qui a fait savoir que l’ambassadeur du Mali était à Alger et que les relations entre les deux pays étaient au beau fixe.
Jamais dans l’histoire de l’Algérie, les relations avec un voisin aussi important que le Mali n’avaient autant dégénéré mais au lieu de se soucier de cette inquiétante plongée de sa popularité dans le coeur des citoyens de ce pays frère, les responsables algériens n’ont fait que multiplier les démentis, les contre-accusations et les “campagnes” à l’adresse des “détracteurs occidentaux”.
« L’Algérie fait l’objet, depuis plusieurs semaines, d’une campagne malveillante orchestrée par certaines organisations non gouvernementales qui l’accusent à tort de faillir à ses obligations internationales en matière de solidarité, d’accueil et d’hospitalité à l’endroit de migrants subsahariens », ânonne, en mai 2018, un énième communiqué du ministère algérien des Affaires étrangères qui trahit une obsession algérienne héritée de la période de la guerre civile des années 90 pour les « complots extérieurs visant à déstabiliser l’Algérie ».
Au lieu de stopper la spirale infernale, causée par la violence des arrestations et le racisme inhérent aux expulsions collectives, pour se donner le temps de réfléchir stratégiquement à un plan algérien à long terme sur la question des réfugiés et migrants, le gouvernement algérien a continué, donnant l’apparence d’une machine, sans cerveau, qui s’agite contre les “forces malveillantes qui veulent ternir sa réputation”.
Sur les photos prises par la reporter Louiza Ammi du quotidien Liberté, on voit le personnel du Croissant Rouge algérien affairés à aider, tout en sourires et bienveillance, les enfants de migrants. Les médecins et volontaires algériens portent des gilets rouges flambant neufs, des gants en latex, des masques respiratoires, comme si, inconsciemment, ils voulaient singer les images des secouristes européens qui s’occupent des migrants échoués sur les rivages nord de la mer Méditerranée, tous bien enveloppés dans leur combinaison aseptisée.
Singer les Européens, à quelle fin? Alors que l’Algérie “n’est pas devenue une terre d’immigration” comme l’explique le chercheur algérien Ali Bensaad, “elle l’est depuis plus d’un demi-siècle”, (dans un entretien en août 2017 au quotidien El Watan): « Pendant la guerre de Libération, sur une population d’environ 9 millions d’habitants, il y avait 200 000 réfugiés algériens recensés officiellement dans les camps de l’ONU en Tunisie et au Maroc, sans compter tous ceux qui y étaient par leurs propres moyens ou dans le réseau familial, et puis l’armée des frontières qui n’a pas toujours eu une relation respectueuse de l’ordre et des autorités de ces pays. Et tous les réfugiés n’étaient pas des «anges», comme on le dit aujourd’hui des Subsahariens. En comparaison, on parle aujourd’hui de 90 000 Subsahariens », rappelle le sociologue pour qui, « la dimension humanitaire (de la question des migrations subsahariennes en Algérie) est constitutive de notre histoire nationale ».
Alors que les officiels algériens choisissent de violemment se recroqueviller en invoquant des alibis sécuritaires, comme fait Donald Trump en fermant la porte aux réfugiés syriens et irakiens prétextant des craintes de terrorisme, il est remarquable de constater qu’en dehors des autorités, de plus en plus d’Algériens considèrent le choix des Subsahariens d’élire domicile en Algérie comme un apport formidable au pays.
Par exemple, les entrepreneurs en bâtiment sont parmi ceux en Algérie qui ouvertement et publiquement demandent aux autorités d’arrêter la chasse aux migrants et à la police de leur donner des cartes de séjour: “ “Nous sommes allés plusieurs fois demander à la gendarmerie de laisser partir nos ouvriers”, affirme ainsi le chef d’un chantier en construction dans une enquête du HuffPost Algérie sur les conditions de travail des Subsahariens dans le bâtiment.
« Nous, entrepreneurs et chefs de chantiers, aimerions bien que leur situation soit régularisée. Cela nous permettra de les déclarer et de ne pas les faire travailler illégalement, tout comme ils pourront déposer plainte contre les vols et la ‘hogra’ (les abus) », résume, Issam, un entrepreneur en bâtiment algérien.
Issam n’est pas seul. Des chefs de petites entreprises commerciales, majoritairement féminines, algéro-maliennes, essaiment à Alger et les produits qu’elles vendent, allant du textile, aux bijoux, meubles et autres, sont très populaires, tandis qu’un groupe de féministes algéro-maliennes viennent de lancer une initiative de « catering culinaire » apprêtant à la demande des repas et mets maliens et ouest africains.
Autant de signes que la mixité algéro - subsaharienne qui a déjà court depuis longtemps dans les villes du sud de l’Algérie commence à devenir une réalité aussi dans le nord du pays et les villes côtières.
Les responsables algériens, à leur tête le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia, lui-même une relique des sinistres années 90, n’ont ni l’envie ni la capacité de voir ces signes. Ils ne comprendront probablement que trop tard que ceux à qui ils souhaitent cyniquement la « bienvenue en Algérie » sont déjà l’Algérie.
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