Le Hirak populaire, la mobilisation du peuple algérien pour la démocratie et l’Etat de droit, déclenchée vendredi 22 février 2019 et répétée de semaine en semaine depuis cette date inaugurale, ne faiblit pas, Au contraire. Les Algériennes et les Algériens, de toutes les régions du pays et de toutes les générations, arabophones, berbérophones et francophones, envahissent avec une détermination inentamée chaque vendredi les rues de toutes les villes du pays. Ces foules innombrables, submergeant pacifiquement les forces de police, clament à la face du monde et à celle du régime au premier chef, leur désir de dignité dans le respect du droit et des libertés.
La pression gigantesque mais non-violente, disciplinée et très politique, exercée par le Hirak a d’abord empêché le scandale du renouvellement du mandat du président Bouteflika, depuis plusieurs années dans un état de santé critique. Nul n’ignorait que ce président hagard que la télévision montrait sur un fauteuil roulant lors de cérémonies officielles inévitables, n’était plus depuis longtemps qu’un prête-nom, entièrement contrôlé par son entourage. L’annonce de sa candidature a été ressentie comme l’injure de trop dans un rapport de mépris absolu du peuple. L’effet de masse, phénoménal, a balayé la résolution des décideurs de l’ombre. Mais, la démission sous la contrainte de Bouteflika a provoqué une crise de régime sans précédent.
La dictature militaro-policière algérienne, incapable de s’accorder sur un candidat de substitution acceptable par toutes les parties prenantes au régime, est entrée dans un conflit aux dimensions inédites. Ainsi, Saïd Bouteflika, frère du président déchu et véritable maire du palais s’associant à son ennemi d’hier, le général janvieriste Toufik Médiene, ancien chef – pendant 25 ans ! - des moukhabarate, aurait tenté de renverser le général Gaid-Salah, chef d’Etat-Major de l’armée, pour imposer un état d’exception et la répression directe du mouvement populaire. Le chef de l’armée a fait arrêter les conspirateurs et leurs associés en affaires, notamment de très puissants oligarques jusqu’alors intouchables.
Le conflit ouvert, spectaculaire, opposant des groupes d’intérêts, n’intéresse que très modérément l’opinion qui connait trop bien la faiblesse morale des personnels dirigeants collectivement désignés sous l’appellation de « gang » (Al ‘Issaba). De fait, tous comprennent que ces arrestations à grand spectacle de personnalités effectivement détestées n’ont d’autre but que de créer la diversion souhaitée par le régime pour détourner la population de son objectif réel : la démocratisation et la démilitarisation de la vie politique et sociale.
L’armée et la police politique, dont les chefs sont les détenteurs réels, en première et dernière instance, du pouvoir depuis l’indépendance du pays, il y a cinquante-sept ans, n’ont pas l’intention de céder leur position hégémonique à qui que ce soit. Encore moins à des représentants légitimes et légaux d’un peuple qu’ils considèrent comme immature et qu’ils ne respectent aucunement.
Leur stratégie consiste donc d’une part à faire la sourde oreille aux revendications populaires, essentiellement une présidence et un gouvernement de transition chargés de préparer l’élection d’une assemblée constituante. Et d’autre part, à imposer un calendrier électoral soi-disant constitutionnel pour désigner un chef d’état à leur convenance.
Le peuple a parfaitement compris ce stratagème et campe sur ses revendications démocratiques. Aujourd’hui les deux acteurs politiques algériens, le peuple et l’armée entretiennent un dialogue de sourds qui doit être dépassé dans les meilleurs délais. En effet ni les manipulations, toujours éventées, de la police politique ni les déclarations nébuleuses du chef d’Etat-Major ne peuvent satisfaire les attentes populaires. Compter sur l’effet d’usure du mouvement semble illusoire, la détermination générale n’a pas faibli d’un iota, au contraire, malgré les contraintes du mois de Ramadhan. En tout état de cause, même si le peuple doit s’organiser politiquement et désigner rapidement ses représentants, la balle est dans le camp des militaires.
L’armée algérienne trouvera-t-elle en son sein les ressources politiques pour la modernisation politique du pays ? C’est toute la question du devenir du pays et de l’Etat qui est contenu dans cette interrogation. La réponse est pressante pour les équilibres de l’Algérie dans un contexte géostratégique instable et préoccupant.
Dans cet entretien l’économiste algérien Omar Benderra, politologue et membre d’Algeria-Watch, association de défense des droits de l’homme, répond aux questions de Nahla Chahal, rédactrice en chef du journal en ligne, Assafir al Arabi.