En Egypte, un journaliste détenu pour avoir diffusé de « fausses informations »

Le parquet de la Sécurité nationale égyptienne a décidé, mardi 1er décembre, de placer en détention provisoire pour 15 jours le journaliste et chercheur Ismaïl Alexandrani, accusé de publication de « fausses informations dans l’objectif de nuire à l’intérêt national et de
2015-12-03

partager

Le parquet de la Sécurité nationale égyptienne a décidé, mardi 1er décembre, de placer en détention provisoire pour 15 jours le journaliste et chercheur Ismaïl Alexandrani, accusé de publication de « fausses informations dans l’objectif de nuire à l’intérêt national et de troubler la paix publique » et d’appartenance à la confrérie interdite des Frères musulmans, ont indiqué ses avocats.

Spécialiste des mouvements djihadistes dans la péninsule du Sinaï, connu pour ses écrits critiques envers les autorités, le chercheur égyptien a été arrêté, le 29 novembre, à son arrivée à l’aéroport d’Hurghada, sur les bords de la mer Rouge, en provenance d’Allemagne. Il a été transféré au siège de la Sécurité nationale au Caire, où il a été « interrogé » en présence de ses avocats, a indiqué son épouse Khadija Gaafar.
Selon une source de sécurité à Hurghada, contactée par l’agence Associated Press, l’ambassade égyptienne à Berlin a notifié aux autorités aéroportuaires l’arrivée de M. Alexandrani. Il a été arrêté pour « coopération avec des organisations internationales de droits de l’homme » et « diffusion de fausses informations », a précisé anonymement cet officier. Le journaliste égyptien Abdelrahman Ayyash a indiqué sur sa page Facebook que M. Alexandrani avait participé récemment à Berlin à des conférences sur la situation politique en Egypte, où il est intervenu sur le sujet des combattants djihadistes actifs dans le Sinaï.
Ismaïl Alexandrani a publié dans de nombreuses revues universitaires, notamment celles de l’université de Leyde, aux Pays-Bas. Il a obtenu une bourse de recherche du centre Woodrow-Wilson à Washington en 2015 et à la Fondation nationale pour la démocratie (National Endowment for Democracy), à Washington également, en 2012-2013. Contributeur régulier dans des médias de langue arabe, à l’instar du premier quotidien libanais, Al-Safir, il a également publié de nombreux articles d’investigation sur la situation du nord du Sinaï, et a été plusieurs fois primé pour ses travaux journalistiques.
Lire aussi : En Egypte, dans l’« abattoir » de la police

« Claire intimidation »

Le chercheur s’est souvent montré critique envers la politique sécuritaire menée par les autorités égyptiennes dans la péninsule du Sinaï. Depuis que l’armée a destitué, en 2013, le président Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, le nord du Sinaï est le théâtre d’une insurrection djihadiste, et les attentats meurtriers contre les forces de l’ordre se sont multipliés. Les autorités égyptiennes ont été pointées du doigt par les organisations des droits de l’homme pour leurs frappes indiscriminées contre les populations civiles dans le Sinaï, ainsi que pour avoir procédé à des évictions forcées dans la ville de Rafah, frontalière de la bande de Gaza, à l’est de la péninsule.
L’arrestation de M. Alexandrani « dérange profondément, et s’inscrit dans une constante des services de sécurité égyptiens, qui arrêtent ceux dont les écrits ne sont pas conformes aux positions officielles », estime Joe Stork, vice-directeur Moyen-Orient pour l’ONG Human Rights Watch, dénonçant une « claire intimidation ». « Il n’y a pas de preuves », selon Me Abdel Nabi, l’un des avocats de M. Alexandrani, estimant que l’affaire « envoyait un message très négatif aux journalistes, les [poussant] à s’autocensurer lorsque leurs opinions divergent de celles des autorités ».
Lire aussi : L’Egypte renforce son arsenal répressif
Le pouvoir du président Abdel Fattah Al-Sissi, l’ex-chef de l’armée artisan de la destitution de M. Morsi, est régulièrement accusé par des organisations de défense des droits de l’homme de réprimer toute voix dissidente. Le Caire a renforcé son arsenal antiterroriste par une loi prévoyant notamment une amende très lourde pour les journalistes et médias, y compris étrangers, qui rapportent des informations contredisant les communiqués et bilans officiels en cas d’attaques.
Human Rights Watch a documenté des cas révélateurs de la façon dont les agences de sécurité, notamment l’agence pour la sécurité nationale, ont outrepassé leurs droits en plaçant des citoyens sur la liste de personnes à surveiller, et délivré des interdictions de voyage, sans décision de justice.
L’arrestation de M. Alexandrani survient seulement trois semaines après la détention du journaliste et militant des droits de l’homme, Hossam Bahgat, pendant plusieurs jours pour publication de fausses informations, à la suite d’un article révélant la tenue d’un procès militaire que l’armée n’avait pas officiellement confirmé, ni réfuté. En 2013, trois journalistes de la chaîne qatarie Al-Jazira avaient été arrêtés puis condamnés à trois ans de prison pour « diffusion de fausses informations » soutenant les Frères musulmans, avant d’être libérés en 2015.
Lire aussi : L’arrestation du journaliste Hossam Bahgat, « un coup porté à la liberté d’expression » en Egypte

lemonde.fr
Par Hélène Sallon

Du Même pays: Egypte

Les biens de l’Égypte vendus à l’encan

Magda Hosni 2022-07-01

Lancées aujourd’hui dans une politique d’acquisitions et de grands travaux, les autorités égyptiennes ont accumulé une dette trop lourde qui les contraint à privatiser une partie de l’économie nationale au...