La guerre au Soudan ronge les vestiges d'un système de santé délabré

Les données du ministère de la Santé estiment les pertes du secteur sanitaire public et privé dans l'État de Khartoum à 12 milliards de dollars. Un rapport documentaire publié par le ministère de la Santé de l'État de Khartoum souligne que 75 % des hôpitaux publics et privés ont été endommagés et mis hors service à la suite de bombardements directs. La plupart des hôpitaux ont été transformés en casernes militaires pour les Force de soutien rapide qui ont pris le contrôle de Khartoum dès les premiers jours. Selon les rapports du ministère de la Santé de l'État de Khartoum, 90 % des hôpitaux privés ont été endommagés (73 hôpitaux sur 80), 25 laboratoires pharmaceutiques, 2 300 pharmacies et 450 entreprises fournissant le matériel médical ont été mis hors service. Sur le plan national, 250 hôpitaux sur les 750 que compte le pays ont été endommagés, selon le ministère soudanais de la Santé.
2025-12-02

Shamael Elnoor

Auteure et journaliste Soudanaise


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Les patients s’entassent dans les couloirs de l’hôpital universitaire d’Omdourman après la reprise d’activité dans la plupart de ses services.

Ce reportage a été réalisé dans le cadre des activités du réseau Médias indépendants sur le monde arabe. Cette coopération régionale rassemble Maghreb Emergent, Assafir Al-Arabi, Mada Masr, Babelmed, Mashallah News, Nawaat, 7iber et Orient XXI.

Reportage*
Ikhlas, âgée de 45 ans, ne s'attendait pas à ce que la guerre éclate quelques jours avant la réalisation de son espoir de guérison. Les médecins de l'hôpital italien Al-Salam à Khartoum, spécialisé en chirurgie cardiaque, comptaient lui remplacer deux valves le 24 avril 2023, selon les confirmations de sa sœur.
Alors que la famille commençait ses préparatifs pour l’hospitalisation, quelques jours avant l'opération, le premier coup de feu a retenti le 15 avril 2023 à proximité de l'hôpital situé au sud de Khartoum. La direction de l'hôpital a demandé à tous les patients dont l’hospitalisation a été programmée de rester chez eux jusqu'à ce que la situation s'éclaircisse. Mais la situation ne s'est pas améliorée, elle a plutôt viré au cauchemar.

Ikhlas ne s’est pas désespérée, pensant comme des millions d'autres Soudanais qu'il s'agissait de simples tensions entre l'armée et son bras armé, les Forces de Soutien Rapide (FSR), qui se dissiperaient rapidement. Mais son cœur déjà affaibli n'a pas tenu le coup et elle est décédée quelques semaines plus tard, alors qu'elle caressait encore l'espoir de guérir. Sa sœur raconte qu'il était pratiquement impossible de lui porter secours, et qu’ils ont dû la transporter à bord d’un véhicule militaire et faire le tour de plusieurs hôpitaux qui avaient fermé leurs portes ou cessé de fonctionner dès les premières heures de la guerre. La famille s’est acharnée, en vain, à la sauver, et finit par lui trouver une place dans un cabinet de gynécologie obstétrique, où son décès a été attesté. A cause de la situation chaotique qui régnait alors à Khartoum, la famille n'a pu localiser la tombe d'Ikhlas que plusieurs mois plus tard, selon sa sœur.

Ikhlas est l'une des nombreuses personnes qui ont perdu la vie parce qu'elles n'ont pas pu accéder aux soins de santé ou ont dû interrompre leur traitement, en particulier celles souffrant de maladies chroniques. La London School of Hygiene & Tropical Medicine (Ecole de Londres de la santé publique et de la médecine tropicale) a recensé environ 61 000 décès dans l'État de Khartoum au cours des 14 premiers mois de la guerre, dont 21 000 dus à des violences directes (par balles). L'étude a indiqué que la faim et les maladies évitables étaient la principale cause de décès dans tout le pays, ce qui signifie qu'environ 35 000 personnes ont succombé à cause de la faim et des maladies.

Avant la guerre, la population de l'État de Khartoum s'élevait à environ 15 millions d'habitants selon les anciennes statistiques et les taux de croissance démographique. Des sources officielles du gouvernement de l'État de Khartoum estimaient que le chiffre s'élevait à environ 6 millions d'habitants après la guerre, dont la majorité se concentre dans le district de Karary, près de la ville d'Omdourman, où l'on estime à 3 millions le nombre d'habitants.

Des pertes énormes et une destruction massive d’un secteur délabré

Le ministère de la Santé ne dispose pas de statistiques officielles concernant le nombre de décès dus à l'absence de soins de santé, mais l'Association des médecins soudanais aux États-Unis (Sudanese American Physicians Association - SAPA) a indiqué dans un rapport sur les pertes subies par le secteur de la santé que 711 000 patients de l'État de Khartoum ont été touchés sur un total de 2.134.247 millions de personnes concernées, ce qui signifie qu'un tiers des patients de l'État de Khartoum ont été directement affectés par les attaques qui ciblaient les hôpitaux, dont certains ont été mis hors service au cours des premiers mois de la guerre.

Le rapport précise que 70 % des dommages causés aux hôpitaux ont eu lieu entre avril et décembre 2023 dans les zones densément peuplées du centre et du sud de Khartoum. La majorité des grands hôpitaux, publics et privés, se concentrent dans les zones du centre et de l'est de Khartoum, à proximité du quartier général de l'armée et de l'aéroport de Khartoum, qui ont été transformés en zones militaires dès les premières heures de la guerre.

Le rapport indique également que la moitié des hôpitaux de l'État de Khartoum ont subi des dommages au cours des 500 premiers jours (41 hôpitaux sur 87 ont été touchés), et que la moitié des hôpitaux endommagés fournissaient des soins de santé primaires. Le rapport souligne les risques pour la santé publique à court et à long terme.

Sur le plan national, 250 hôpitaux sur les 750 que compte le pays ont été endommagés, selon le ministère soudanais de la Santé.

L'Association des médecins soudanais aux États-Unis (Sudanese American Physicians Association - SAPA) a indiqué dans un rapport sur les pertes subies par le secteur de la santé qu'un tiers des patients dans l'État de Khartoum ont été directement affectés par les attaques qui ciblaient les hôpitaux. La London School of Hygiene & Tropical Medicine (Ecole de Londres de la santé publique et de la médecine tropicale) a recensé environ 61 000 décès dans l'État de Khartoum au cours des 14 premiers mois de la guerre, dont 21 000 dus à des violences directes (par balles). L'étude a indiqué que la faim et les maladies évitables étaient la principale cause de décès dans tout le pays.

Les rapports de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ont recensé 542 attaques contre le système de santé soudanais entre avril 2023 et décembre 2024, ainsi que la mort de 122 professionnels de santé et l'arrestation de dizaines d'autres. Le nombre de décès parmi le personnel de santé est passé à 317 en février 2025, selon la dernière mise à jour de l'OMS. 

Une visite sur terrain menée dans le cadre de ce reportage dans l'État de Khartoum a révélé des dégâts sans précédent, touchant la plupart des établissements médicaux, tant au niveau des bâtiments que des équipements médicaux et logistiques. À l'hôpital Ibrahim Malik, situé au sud de Khartoum et considéré comme le plus grand hôpital du ministère de la Santé de l'État de Khartoum, les ravages n'ont épargné aucune pièce. Les actes de vandalisme ont touché l'ensemble de l'hôpital, qui est l'un des plus importants centres de chirurgie cérébrale et neurologique du Soudan, en plus de ses nombreux départements. Par exemple, nous avons constaté lors de notre visite la destruction chaotique d'un scanner (tomodensitométrie) d'une valeur de plusieurs millions de dollars. Cet appareil a été vandalisé dans le seul but d'en retirer les fils de cuivre. Le commerce du cuivre -le kilo se vendant moins de 5 dollars- a connu un essor considérable pendant cette guerre, et le secteur de l'électricité en a été l'une des principales victimes.

Au cours d'une visite du centre de Khartoum, où se trouvent les principaux hôpitaux, centres spécialisés et cliniques, tout semblait comme si rien ne s'était passé ici, comme si cette région n'avait jamais connu de présence humaine. Comme il s'agit à l'origine d'une zone non résidentielle, située à proximité du quartier général de l'armée, elle ne montrait aucun signe de vie.

L’Hôpital Ibrahim Malik, le plus grand établissement médical de l’État de Khartoum et le plus important centre de neurologie au Soudan, a subi des dégâts énormes qui l’ont mis complètement hors service. Il n’a pas encore repris ses activités.

À l'hôpital Ibrahim Malik : une salle de radiologie sophistiquée a été réduite à un tas de gravats (à gauche), et une unité de soins intensifs a été complètement détruite (à droite).

Malgré les opérations de nettoyage qui ont été menées, « Al-Shaab » -l'un des plus grands hôpitaux de la capitale et parmi les plus grands hôpitaux universitaires du pays- est aujourd’hui, à l’instar d'autres grands établissements, incapable de se remettre et reprendre ses activités. Avant la guerre, cet hôpital accueillait des milliers de patients qui venaient de Khartoum et des autres états, grâce à sa grande capacité d'accueil et à son immense capacité opérationnelle. Les dernières statistiques, collectées avant la guerre, indiquent que l'hôpital accueillait quotidiennement plus de 1 000 patients atteints de maladies cardiovasculaires.

Les statistiques du ministère de la Santé indiquent que 28 000 cas de cancer sont diagnostiqués chaque année. L’hôpital spécialisé en oncologie sa été largement épargné par les effets destructeurs de la guerre, un responsable du ministère de la Santé confirmait que l'appareil de radiothérapie n'avait pas été endommagé. L'hôpital devrait reprendre ses activités prochainement. Mais on ignore s'il sera possible de le remettre en état de fonctionner dans un environnement dépourvu de services de base tels que l'eau, l'électricité et l'assainissement.

Il n'y a pratiquement plus d'appareils d'imagerie par résonance magnétique (IRM) dans tout l'État de Khartoum, à l'exception d'un seul appareil installé dans un centre situé à la périphérie de la ville d'Omdourman, les patients sont alors obligés de réserver leur tour longtemps à l'avance. L'hôpital d'Omdourman cherche à se procurer un autre appareil IRM, parallèlement à ses efforts pour rouvrir le service de soins intensifs, car Khartoum souffre d'un manque aigu de ces services, et les réseaux sociaux regorgent de messages de personnes à la quête d'un lit dans une unité de soins intensifs. 

À proximité de l'hôpital Al-Shaab se trouve l'hôpital Al-Dhara, le principal centre oncologique du pays. Il accueille les personnes atteintes de cancer, venues de toutes les provinces du Soudan. En raison de la forte prévalence du cancer au Soudan, l'hôpital a connu ces dernières années un encombrement constant. Les listes d’attente s’allongent, et parfois les patients sont privés de leurs traitements, ce qui leur coûte la vie. Les statistiques du ministère de la Santé indiquent que 28 000 cas de cancer sont diagnostiqués chaque année. L’hôpital a été largement épargné par les effets destructeurs de la guerre, un responsable du ministère de la Santé confirmait que l'appareil de radiothérapie n'avait pas été endommagé. L'hôpital devrait reprendre ses activités prochainement. Mais on ignore s'il sera possible de le remettre en état de fonctionner dans un environnement dépourvu de services de base tels que l'eau, l'électricité et l'assainissement.

Un fait attire l’attention : les hôpitaux auxquels recouraient les Forces de Soutien Rapide pour soigner leurs blessés ont été épargnés, et même ceux qui avaient cessé de fonctionner ont pu reprendre leurs activités en un temps record. Citons notamment l'hôpital Al-Bashair au sud de Khartoum et l'hôpital Al-Tamayoz dans le centre-sud de Khartoum.

Les données du ministère de la Santé estiment les pertes du secteur sanitaire public et privé dans l'État de Khartoum à 12 milliards de dollars. Un rapport documentaire publié par le ministère de la Santé de l'État de Khartoum souligne que 75 % des hôpitaux publics et privés ont été endommagés et mis hors service à la suite de bombardements directs. La plupart des hôpitaux ont été transformés en casernes militaires pour les FSR qui ont pris le contrôle de Khartoum dès les premiers jours. Selon les rapports du ministère de la Santé de l'État, 90 % des hôpitaux privés ont été endommagés (73 hôpitaux sur 80), 25 laboratoires pharmaceutiques, 2 300 pharmacies et 450 entreprises fournissant le matériel médical ont été mis hors service.

Les rapports de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ont recensé 542 attaques contre le système de santé soudanais entre avril 2023 et décembre 2024, ainsi que la mort de 122 professionnels de santé et l'arrestation de dizaines d'autres. Le nombre de décès parmi le personnel de santé est passé à 317 en février 2025, selon la dernière mise à jour de l'OMS.

Le ministère de la Santé s'attend à ce que le système de santé soit soumis à des pressions et à des défis importants si le nombre de citoyens retournant à Khartoum augmente, alors que la plupart des établissements médicaux restent fermés, qu’il y a une pénurie de médicaments et que les coupures d'électricité sont fréquentes.

Des efforts pour compenser les pertes

Ces pertes considérables dans le secteur de la santé ont entraîné une paralysie généralisée des services élémentaires de santé à Khartoum, considérée comme le centre des soins de santé et des services médicaux du pays, en raison de la nature centralisée des régimes successifs au Soudan. En conséquence, les services de santé ont été interrompus dans la région du Darfour, qui a tombé entre les mains des FSR après leur prise de contrôle de Khartoum.

Lorsqu'il est devenu impossible de continuer à fournir des services médicaux et sanitaires dans la capitale en raison des opérations militaires, la ville de Wad Madani, capitale de l'État d’Al-Jazirah situé au centre du pays, est devenue un pôle médical alternatif. Avant la guerre, Al-Jazirah disposait d'une infrastructure médicale plutôt acceptable, ce qui lui a permis de prendre la relève. Un grand nombre de patients s'y sont rendus pour poursuivre leur traitement, et les cabinets de médecins spécialistes et consultants s'y sont également installés. Mais après la prise de contrôle d’Al-Jazirah par les FSR à la fin de l'année 2023, la situation a viré au cauchemar, et il est devenu quasi impossible d'obtenir des services de santé complets dans les régions du centre du Soudan. Le ministère de la Santé a alors annoncé que le sort d'un stock de médicaments d'une valeur estimée à 20 millions de dollars était incertain.

Une ambulance détruite devant un hôpital à Khartoum.

Cette situation désastreuse a énormément affecté les soins de santé, qu’ils soient élémentaires ou avancés. Elle s’est encore aggravée quand la guerre s’est étendue à l’État d’Al-Jazirah, puis à Sannar dans le sud-est du pays, avant que l'armée ne reprenne le contrôle de ces régions. Les zones qui ont été reconquises par l'armée se heurtent à une pénurie de services de base, et certaines d’entre elles sont confrontées à l’absence totale des services de l'électricité, de l'eau et de l'assainissement.

Le directeur de la médecine préventive, Dr. Ahmed Al-Bashir, a affirmé que la priorité dans la reprise d’activité des hôpitaux et des centres médicaux était donnée aux zones densément peuplées, et non en fonction de la situation des hôpitaux avant la guerre. La vie à Khartoum s'étant retranchée vers la périphérie dès les premiers mois de la guerre, le centre-ville étant complètement déserté, ces zones périphériques ont bénéficié de tous les services.

Les rapports de l’OMS publiés en mars 2025 indiquent que plus de 20 millions de Soudanais ont des besoins d’urgence. L'organisation onusienne a cherché à collecter 4 milliards de dollars dans le cadre du plan d'intervention élaboré pour répondre à l'urgence sanitaire au Soudan. Les Nations Unies ont classé le cas soudanais comme étant la plus grande crise d’exode au monde, avec environ 12 millions de Soudanais déplacés, dont 53 % sont des enfants de moins de 18 ans. La moitié de la population a atteint des niveaux élevés d'insécurité alimentaire aiguë. 

La capitale, Khartoum, est l’exemple le plus représentatif de la situation dans ces zones, et il ne semble pas que le gouvernement dispose d’un plan, même d'urgence, pour changer la donne. En l'absence de financements à cause de la poursuite des opérations militaires dans d'autres zones, tout progrès possible reste directement lié aux processus de négociation ou de cessez-le-feu qui pourrait ouvrir la voie à un règlement du conflit.

L'hôpital des maladies tropicales de l'État de Khartoum, l'un des plus importants centres de recherche médicale du Soudan, reprend progressivement ses activités avec un budget limité, malgré les défis considérables et les ressources restreintes.

Malgré les difficultés, les établissements médicaux s’efforcent d’assurer le plus possible de services à Wad Madani, la capitale de l’État d’Al-Jazirah, qui a été reprise par l’armée en janvier 2025. Les autorités locales estiment les pertes su secteur sanitaire à 63 millions de dollars. Situé au centre du pays, l’Etat d’Al-Jazirah était l’une des destinations principales pour les soudanais fuyant la guerre, avant de devenir l’unique refuge au centre du pays après la chute de Khartoum entre les mains des FSR. Lorsque la guerre a fini par l’atteindre, les services sanitaires se sont interrompus, et la ville et ses alentours se sont vidés de leurs habitants, y compris le personnel médical.

Dr. Osama Abdel Rahman, Directeur général de la santé de l'État d’Al-Jazirah, affirme que le secteur a été gravement endommagé et que les principaux obstacles à la reprise des activités de santé sont le manque de personnel médical et les coupures de l’électricité. M. Abdel Rahman a indiqué que son ministère a pu rétablir de nombreux services, mais que le défi n’est pas encore gagné, et que le besoin de soutien persiste, soulignant l’impact des pillages et des actes de vandalisme qui ont affecté les équipements médicaux, les véhicules et les transformateurs électriques. Le ministère essaie de combler le manque de personnel médical en recrutant des coopérants, a-t-il ajouté, affirmant que le manque a été compensé à hauteur de 75%.

La visite de la ville de Wad Madani nous a permis de constater la réouverture du centre de chimiothérapie, mais le service de radiothérapie est encore indisponible, ce qui aggrave les souffrances des cancéreux qui n'ont plus d'autre solution que de se rendre dans la région de Merowe, à l'extrême nord du pays. L'hôpital Al-Jazirah, spécialisé dans les maladies rénales, a repris les séances de dialyse, mais les transplantations sont toujours suspendues. La visite a également révélé une instabilité dans les interventions chirurgicales. Quant au centre de cardiologie, seules les consultations sont possibles pour le moment, bien qu'il soit l'un des plus grands centres spécialisés en Afrique. Il a été largement pillé pendant l'année de guerre que l’Etat a traversé. Tous les services de gynécologie, de pédiatrie et les maternités, ainsi que l'hôpital général, fonctionnent à plein régime.

Dr. Abdel Rahman souligne que les services de vaccination, de nutrition, de santé maternelle et de santé mentale ont été affectés. Le ministère a enregistré une augmentation des maladies infantiles et de la mortalité maternelle. Il indique que l'État a enregistré 30 décès maternels en 2024, alors que ce chiffre est tombé à 4 en 2025, selon les rapports officiels.

Selon les estimations officielles, la population de cet État s'élevait à environ 12 millions d'habitants, étant donné qu’il était devenu un centre alternatif à l'État de Khartoum, et qu’il a accueilli des millions de personnes fuyant la guerre. Aujourd'hui, après la reprise du contrôle d’Al-Jazirah par l'armée, la population est estimée à 6 millions d'habitants, dont la grande majorité sont probablement des habitants de l'État.

Il semble que la situation dans l'État d’Al-Jazira est meilleure que celle de Khartoum, qui tente de rétablir certains services médicaux, ou encore celle d'Omdourman, l'une des trois villes de la capitale. Bien que la guerre ne se soit pas étendue à l'ensemble de la ville d'Omdourman, contrairement à ce qui s'est passé dans les villes de Khartoum et Bahri, elle a laissé des traces apparentes sur un grand nombre d'établissements sanitaires de la ville. Les FSR contrôlaient l’ouest de la ville et ses vieux quartiers au sud, tandis que l'armée contrôlait le nord. De nombreux hôpitaux situés dans les zones contrôlées par les FSR ont été mis hors service, notamment l'hôpital universitaire d'Omdourman, qui a repris ses activités grâce au soutien direct du Centre d'aide humanitaire et de secours du Roi Salman (KSRelief), ainsi que les efforts de la population locale. Dr. Abdel Moneim Ali, directeur de l'hôpital d'Omdurman, affirme que tous les services ont repris leurs activités et souligne que l'hôpital propose désormais des prestations qui n'existaient pas avant la guerre, telles que le traitement des maladies du pancréas, comme si le ministère tentait de compenser le manque des services fournis auparavant par Khartoum. L'hôpital d'Omdurman a cessé ses activités pendant plus d'un an avant de les reprendre en octobre 2024.

Mais, il n'y a pratiquement plus d'appareils d'imagerie par résonance magnétique (IRM) dans tout l'État de Khartoum, à l'exception d'un seul appareil installé dans un centre situé à la périphérie de la ville d'Omdourman, les patients sont alors obligés de réserver leur tour longtemps à l'avance. L'hôpital d'Omdourman cherche à se procurer un appareil IRM, parallèlement à ses efforts pour rouvrir le service de soins intensifs, car Khartoum souffre d'un manque aigu de ces services, et les réseaux sociaux regorgent de messages de personnes à la quête d'un lit dans une unité de soins intensifs.

L’encombrement de l’hôpital universitaire d’Omdourman après la reprise de ses activités.

Le directeur de l'hôpital affirme que le centre saoudien d’aide humanitaire Roi Salman apporte son soutien au service de soins intensifs : 16 chambres devraient bientôt être prêtes à accueillir les patients. L'hôpital est confronté à des problèmes d'électricité et de carburant, ainsi qu'à une grave pénurie d'oxygène causée par l’arrêt des activités de la principale usine de Khartoum. Une fois opérationnels, les services de soins auront besoin de 96 bouteilles d'oxygène par jour, au prix de 10 dollars la bouteille. L'hôpital d'Omdurman fonctionne avec une capacité de 600 lits, alors que sa capacité opérationnelle est de 800 lits.

Au cours de notre enquête, nous avons constaté une prospérité remarquable des services médicaux dans les zones périphériques, comme si la situation s'était inversée, les habitants des périphéries bénéficiant désormais des services pour lesquels ils se déplaçaient auparavant vers le centre de Khartoum. Ce changement semble logique au vu des politiques du ministère de la Santé de l'État de Khartoum dont le directeur de la médecine préventive, Dr. Ahmed Al-Bashir, a affirmé que la priorité dans la reprise d’activité des hôpitaux et des centres médicaux était donnée aux zones densément peuplées, et non en fonction de la situation des hôpitaux avant la guerre. La vie à Khartoum s'étant retranchée vers la périphérie dès les premiers mois de la guerre, le centre-ville étant complètement déserté, ces zones périphériques ont bénéficié de tous les services. En effet, les petits centres situés dans les zones rurales des grandes villes, qui ne recevaient pas plus de 10 cas par jour avant la guerre, sont aujourd'hui la destination de nombreux citoyens.

Des niveaux catastrophiques et des besoins persistants

Les rapports de l’OMS publiés en mars 2025 indiquent que plus de 20 millions de Soudanais ont des besoins d’urgence. L'organisation onusienne a cherché à collecter 4 milliards de dollars dans le cadre du plan d'intervention élaboré pour répondre à l'urgence sanitaire au Soudan. Les Nations Unies ont classé le cas soudanais comme étant la plus grande crise d’exode au monde, avec environ 12 millions de Soudanais déplacés, dont 53 % sont des enfants de moins de 18 ans. La moitié de la population a atteint des niveaux élevés d'insécurité alimentaire aiguë.

Compte tenu de l'intensification et de l'extension géographique des vagues de déplacements, un environnement propice à la propagation des maladies infectieuses s'est installé, atteignant des seuils dangereux au Soudan pendant plus de deux ans de guerre. Divers types de fièvres se sont propagés, et 2 500 décès dus à l’épidémie de choléra ont été enregistrés.

Dans un contexte de fragilité du système de santé, les services de vaccination ont été affectés, voire complètement interrompus dans certaines régions, et les taux de contamination par la rougeole ont augmenté, avec 5 000 cas enregistrés entre avril et septembre 2023, selon les estimations de l'OMS. 1 200 enfants ont trouvé la mort, probablement à cause de la rougeole et de la malnutrition.

Plusieurs États du Soudan ont été confrontés à la propagation de fièvres et de choléra.

L'hôpital Alban Jadid, situé dans le quartier El-Haj Yousif à Khartoum, a enregistré trois décès dus à une erreur technique lors de la préparation des doses de vaccin, selon les communiqués du ministère de la Santé en août 2025. Des articles de presse ont affirmé que la solution utilisée pour le vaccin contre la rougeole a été mélangée à d'autres solutions dans le réfrigérateur du directeur médical, qui était utilisé par le service de vaccination, en raison d'une panne du réfrigérateur réservé aux vaccins à cause des coupures d'électricité.

La fièvre dengue s'est largement répandue dans les États de Khartoum et d'Al-Jazirah au cours des derniers mois. Le ministère de la Santé de l'État de Khartoum a recensé 13 692 cas, mais le nombre officiel de décès est assez faible, ce qui a suscité des doutes car il ne correspond pas au nombre de décès rapportés par les comités de quartier et les associations locales. En plus des fièvres, l'État d’Al-Jazirah a été également touchée par une épidémie de l’hépatite A.

Même avant la guerre, le système de santé soudanais souffrait d’une fragilité multidimensionnelle. Il était confronté à de nombreux problèmes complexes, notamment le budget limité accordé au ministère, et qui ne dépassait guère 10 % du budget global, voire moins. Ces limites budgétaires ont entraîné un rétrécissement continu du secteur public, parallèlement à une expansion considérable du secteur privé et de l'investissement dans la prestation de services de santé qui sont devenus difficilement accessibles pour la majorité des citoyens dans un pays où le taux de pauvreté est passé de 21 % avant la guerre à 71 % actuellement. Selon les derniers rapports officiels, 23 millions de Soudanais, sur 50 millions, vivent sous le seuil de pauvreté.

Compte tenu de l'intensification et de l'extension géographique des vagues de déplacements, un environnement propice à la propagation des maladies infectieuses s'est installé, atteignant des seuils dangereux au Soudan pendant plus de deux ans de guerre. Divers types de fièvres se sont propagés, et 2 500 décès dus à l’épidémie de choléra ont été enregistrés.

L'OMS a estimé que l’offre médicale au Soudan couvre actuellement environ 25 % des besoins réels. Avec l'aggravation des pénuries au cours des derniers mois et la raréfaction des financements, le secteur de la santé est confronté à des défis majeurs, qui touchent davantage les personnes atteintes de maladies chroniques, et plus particulièrement les femmes. Le Fonds des Nations Unies pour la population estime à 105 000 le nombre de femmes enceintes au Soudan, qui peinent à accéder aux soins de maternité en raison de la fermeture des hôpitaux et de la pénurie de médicaments destinés à la santé maternelle.

Shadha, une jeune femme récemment mariée, nous raconte l'expérience terrifiante de son premier accouchement dans la ville de Bahri, alors sous le contrôle des FSR. Agée de seulement 25 ans, Shadha a été contrainte de rester aux côtés de son mari qui s'occupait de son vieux père. À l'approche de la date prévue pour l'accouchement, aucun hôpital n'était en activité. Shadha a donc dû accoucher chez une sage-femme, dans un environnement dangereux et dépourvu de soins médicaux.

En octobre 2024, le ministère de la Santé a annoncé une augmentation des taux de mortalité maternelle et infantile, qui ont atteint 295 décès pour 100 000 naissances.

Médecins Sans Frontières (MSF), présente et active au Soudan, a rapporté que le taux de mortalité maternelle enregistré entre janvier et août 2024, dans deux hôpitaux soutenus par l'organisation dans le sud du Darfour, dépassait 7 % du total des décès maternels enregistrés par l'ensemble des structures de MSF dans le monde en 2023.

Les périphéries prospèrent après le déclin du centre

Khartoum, qui était le cœur d’un système fortement centralisé, monopolisait auparavant tous les soins de santé et les services médicaux, et attirait les migrants venus des quatre coins du pays. Mais, la situation s'est complètement inversée après la guerre. Khartoum a été réduite en ruines, et les flux migratoires ont radicalement changé de direction, motivés par la quête de soins de santé. De nouvelles destinations, revitalisées par la guerre, attirent désormais les migrants. À titre d'exemple, L'État du Nil, situé au nord du pays, souffrait, comme les autres régions du Soudan, des inégalités de développement et du manque de services. Ayant échappé à la guerre, il est devenu un refuge. Ainsi, un habitant de l'État du Nil, qui devait auparavant attendre plus de deux mois pour consulter un spécialiste à Khartoum, peut désormais le faire beaucoup facilement et rapidement, car le spécialiste a quitté la capitale et transféré son cabinet dans cet État. Les services médicaux dans l’État du Nil se sont considérablement développés pendant la guerre.

A titre d’exemple, l'hôpital de la police d'Atbara, l'une des villes de l'État du Nil qui s'est transformée en un véritable centre de commerce et de services pendant le conflit, était à l'origine un petit centre prenant en charge les cas simples et pratiquant les accouchements, est devenu un pôle médical accueillant les patients venus de plusieurs régions du Soudan sous la pression de la guerre. Dr. Al-Walid Mahjoub, le directeur de l’hôpital, explique que son établissement a dû relever d'importants défis pour développer ses services et s'adapter au contexte national, notamment en se procurant des équipements de radiologie et de laboratoires, et en se dotant d’un groupe électrogène pour faire face à la vétusté du réseau public d’électricité. Progressivement, l'hôpital est passé d'un petit centre disposant d’un seul bloc opératoire à un complexe médical proposant des services de chirurgie orthopédique, neurochirurgie, chirurgie vasculaire, chirurgie plastique et chirurgie maxillo-faciale, ainsi que des unités de soins intensifs pour la réanimation cardiopulmonaire et les maladies cardiovasculaires. Il convient de noter que la plupart de ces services n’étaient pas disponibles dans l'État du Nil avant le déclenchement de la guerre.

L'hôpital dispose actuellement d'une capacité opérationnelle de plus de 200 lits et de 11 salles d'opération, et accueille quotidiennement jusqu’à 750 patients.

Chirurgie cardiaque dans l'un des hôpitaux de l'État du Nil, qui n'existait pas avant la guerre.

Mais le renversement de situation le plus spectaculaire est celui qui a eu lieu dans un petit hôpital situé dans la campagne du sud-ouest de l'État du Nil. Depuis son ouverture en 2008, il remplissait les fonctions d’un centre de santé de base avec une fréquence quotidienne de 15 cas non urgents venant pour la plupart pour des services simples et limités tels que le traitement des fièvres et des infections mineures, le suivi des maladies chroniques ou encore le traitement des piqures de scorpion. Mais, après la guerre, l'hôpital Al-Jakayka est devenu un hôpital de référence, ses services se sont étendus, et l’une de ses équipes médicales a réalisé un exploit rare en réussissant la séparation d’un « jumeau parasite » (Ischiopagus).

Le ministère de la Santé a concentré ses efforts sur ce centre pour réduire la pression sur les hôpitaux d’Omdourman. Il a rouvert ses portes fin 2023 et a été doté d’appareils, d’équipements et de personnel spécialisé dans divers services. L'État du Nil a bénéficié de l’exode du personnel médical venant principalement de Khartoum, et puisqu’il a été épargné par la guerre, il est actuellement en bonne position pour le développement des activités économiques et des services.

Avant la guerre, la population de l’État du Nil s’élevait à environ 1.5 millions d’habitants, mais avec l’expansion du conflit armé, l’Etat est devenu une destination principale pour les déplacés de guerre avec une population atteignant environ 6 millions d'habitants, avant que l'armée ne réussisse à reprendre le contrôle des États d’Al-Jazirah et de Sannar.

Le ministère de la Santé de l'État de Khartoum s'efforce de remettre en état certains hôpitaux, avec un budget limité, dans un environnement dépourvu de services de base. Il a cependant réussi à rouvrir certains hôpitaux. Mais les services restent insuffisants à cause de l’instabilité de la situation générale, notamment la pénurie importante de personnel médical. Les opérations de recensement se poursuivent, selon le directeur de la médecine thérapeutique au ministère de la santé de l'État de Khartoum. Cette dernière devrait faire face à des défis croissants si les vagues de retours volontaires s'intensifient.

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*La vidéo et les photographies présentées dans ce reportage sont la propriété exclusive d’Assafir Al-Arabi.