Revue NAQD - Hors Série
Le numéro hors-série de NAQD s’inscrit dans la continuité du travail critique que la revue mène depuis sa création : penser les événements du présent dans leur profondeur historique, et interroger la manière dont ils révèlent les structures du monde. Il ne s’agit pas d’un numéro de circonstance, mais d’un espace collectif de réflexion sur le sens historique, politique et moral de la guerre de Gaza, sur ce qu’elle dit de notre temps et de l’état du monde : la persistance du colonialisme, la centralité de la violence impériale, et la résistance des peuples qui refusent de disparaître.
Gaza, miroir du XXIᵉ siècle colonial
Depuis le 7 octobre, le pouvoir colonial israélien, soutenu sans faille par les puissances occidentales, a déchaîné une brutalité sans précédent contre la population de Gaza. deux années entières de bombardements, de famine organisée, de destruction systématique. Pourtant, la résistance ne s’est pas éteinte.
Le nouvel esclavage
03-10-2025
Ce numéro montre que la guerre de Gaza n’est pas une guerre locale, mais la plus longue confrontation anticoloniale du XXIᵉ siècle, opposant un peuple à une entité coloniale installée dans la terre de Palestine.
Les analyses de Nasser Qandil et de Muhammad Jihad Ismael replacent cet affrontement dans la continuité d’une lutte commencée en 1948, bien avant le 07 octobre2023.
Effondrement du pacte occidental
Face à ce génocide en direct, un autre front s’est effondré : le pacte occidental du Nouvel ordre mondial, hérité de l’après-1945. Ce pacte, qui se voulait l’acte fondateur d’un monde “libre” après le nazisme, a en réalité servi à justifier la création d’un État “pour les Juifs” en Palestine, permettant à l’Occident de se blanchir de ses crimes antisémites tout en ouvrant une nouvelle ère de domination coloniale au Moyen-Orient.
En soutenant sans condition Israël, les puissances occidentales dévoilent la logique réelle de ce pacte : la normalisation du génocide. Les guerres contre le Liban, l’Irak, la Syrie, la Libye, le Yémen ou l’Afghanistan ne sont pas des exceptions, mais les épisodes successifs d’une même guerre “civilisationnelle” menée, contre la pluralité du Moyen-Orient, contre toute forme d’autonomie politique du Sud global.
Les textes de ce hors-série montrent que ce pacte ne se fissure pas seulement sous les bombes, mais aussi sous la pression des consciences : celles des millions de citoyens, d’intellectuels, de journalistes et de jeunes du monde entier qui refusent que le génocide soit travesti en “droit à la défense”.
Convergences géostratégiques et connivences idéologiques
L’article sur les États-Unis et Israël, de Bush à Biden, retrace cette alliance stratégique au cœur du système impérial.
Des néoconservateurs de l’ère Reagan jusqu’au retour de leurs héritiers dans l’administration Biden et Trump, l’idéologie sioniste et la doctrine de la domination américaine se sont nourries mutuellement.
Sous Trump, cette alliance s’est traduite par la marchandisation cynique de la cause palestinienne à travers les Accords d’Abraham ; sous Biden, elle se réaffirme dans une forme encore plus assumée : celle d’un projet civilisationnel commun entre l’Amérique impériale et Israël colonial.
Gaza devient ici le laboratoire du contrôle des populations insurgées, un espace d’expérimentation des technologies de guerre, de surveillance et d’effacement… un miroir du monde que les puissances dominantes veulent imposer.
La guerre de Gaza et le néo-racisme global
Un autre texte interroge les soubassements raciaux de cette guerre.Le néo-racisme qui s’exprime contre les Palestiniens n’est pas une dérive accidentelle, mais l’héritage direct du racisme colonial européen, réactivé et numérisé.
Dès 1917, la Déclaration Balfour prévoyait un transfert de population fondé sur une hiérarchie raciale : un peuple “civilisé” européen venant “apporter la modernité” à un territoire supposé vide ou arriéré.
Ce racisme structurel a évolué : il ne s’exprime plus seulement dans le discours colonial classique, mais dans le langage des droits humains, de la sécurité et de la guerre contre le “terrorisme”.
La résistance palestinienne révèle que ce langage est devenu le masque moral d’un projet d’extermination un projet néo-racial, compatible avec les nouvelles formes du capitalisme global.
L’Afrique et la réinvention de la solidarité
Le hors-série s’achève sur une réflexion essentielle : le rôle de l’Afrique dans la libération de la Palestine et la redéfinition des solidarités internationales.
L’Afrique, mémoire vive des luttes anticoloniales, rappelle que la colonisation de la Palestine est une frontière parmi d’autres dans la cartographie mondiale de la violence impériale.
De Kwame Nkrumah à Nelson Mandela, de Lumumba à Cabral, les leaders africains avaient affirmé que la libération n’est jamais nationale, elle est globale.
Aujourd’hui, Gaza réactive cette vérité : la lutte palestinienne est celle de tous les peuples qui refusent de vivre sous l’ordre néocolonial, sous les bases militaires, la dette et la dépossession.
Cette solidarité n’est pas un supplément d’âme, ni une posture morale. Elle est la condition d’une rupture avec l’ordre mondial qui détruit la vie et l’humanité.
Gaza, deux ans après
09-10-2025
Les mouvements sociaux, les artistes, les intellectuels et les citoyens africains qui se lèvent aujourd’hui pour Gaza prolongent la tradition tricontinentale de Bandung, celle d’un monde non aligné, décolonisé, souverain et solidaire.
Une guerre mondiale de la conscience
Au fil des contributions, ce numéro défend une idée claire : la guerre contre Gaza est une guerre mondiale militaire, médiatique, idéologique. Mais aussi c’est une guerre de la conscience face à la destruction toute présence humaine, au meurtres de masse, à l’éxcution sommaire de journalistes palestiniens, d’artistes, de penseurs et de citoyens ordinaires témoignent, en direct, du cœur même du génocide. Leur parole, transmise depuis le siège, fait s’effondrer le monopole occidental du récit. Leur résistance ouvre la possibilité d’un autre monde, d’un autre langage de la vérité.
Ce que défend ce numéro
Ce hors-série de NAQD défend une vision résolument décoloniale et critique :
- Il rompt avec les récits occidentaux du “conflit israélo-palestinien”.
- Il replace Gaza dans l’histoire longue du colonialisme et du capitalisme mondialisé.
- Il montre que la résistance palestinienne est une lutte universelle, qui réactive les traditions anti coloniales de l’Afrique, du monde arabe et du tiers-monde.
- Il appelle à une solidarité active, politique et intellectuelle fondée sur la rupture, la mémoire et la dignité.
Ce numéro est un acte politique et intellectuel.Il affirme que le combat de Gaza est le combat du monde entier, que le génocide est le langage terminal d’un ordre en déclin, et que la critique décoloniale reste notre seule arme contre la banalisation du meurtre colonial.
Gaza est aujourd’hui un prisme à travers lequel se lit le monde, une frontière où s’invente, encore une fois, la possibilité d’une humanité décolonisée.
*Texte présenté à la 33e conférence annuelle d'Eurozine par Sana Yasmine Herireche, autrice et traductrice de la revue NAQD
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