Le piège de l’image, la réalité et l’illusion

Et demain, sur les profils, et l’après-demain et ceux qui suivent, on se réjouira des photo qui donnent l’illusion d’une révolution en cours, quand c’est juste une catharsis passagère
2016-12-19

Mohammed Ennaji

Historien et professeur de sociologie économique à l'Université Mohammed V, Rabat


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يطو برادة - المغرب

Tout compte fait, je crains que tout ça ne soit qu’un jeu d’images, un mirage procurant la sensation imaginaire d'étancher la soif. Même la réalité semble investie et reprise en mains par le virtuel qui impressionne sur le coup, mais ne fait en réalité qu’illusionner. La foule est sortie, la foule est rentrée ! On le sait par l'image, il n'en reste que celle-ci, rien d'autre. Le quotidien reprend ses droits et la rue est calme comme si de rien n'était. Akhennouch est élu, Benkirane forme toujours son gouvernement et le chef de l’État est loin en Tanzanie. Pas besoin d’un dessin, les choses sont visibles à l’œil nu sans réel effort d’analyse. Les adultes vont reprendre les choses en mains, on a laissé les enfants s’en donner à cœur joie, la mascarade est terminée. Il y a là comme un jeu sur le web, qui aspire une dure réalité sociale, qui défoule et refoule plus loin profondément encore grâce aux slogans, grâce à l’impression de force et de légitimité que donnent les manifestations plus festives qu’autre chose.  
Il semble que ce soit là le destin d’une société sans élite, d’une société sans pensée, d’une société sans avenir. Il y a dans l’histoire, des sociétés comme ça, infertiles, stériles, c’est peut-être le cas de la nôtre aujourd’hui. On va entrer dans un cycle de la contestation, qui n’en finirait pas, où l’on dit à sa guise ce que l’on veut, ce que l’on croit, et où, arrivée la nuit, on regagne son terrier parce que demain il faut travailler, le chômage battant son plein, il ne faut pas s’muser avec ça avec ce qu’on a.
Et demain, sur les profils, et l’après-demain et ceux qui suivent, on se réjouira des photo qui donnent l’illusion d’une révolution en cours, quand c’est juste une catharsis passagère. Et le silence recouvrira tout, dans peu de temps, pour laisser les destinées se perdre dans la monotonie du quotidien. L’horizon n’en sera que plus plombé pour cause des promesses non tenues, d’espérances avortées. Et la contestation pourrait reprendre après une pause. Les années de plomb sont oubliées, le pays est un paradis en comparaison d’autres pays où la violence est endémique. Il fait bon vivre au Maroc où il y a des gens très riches, des gens qui exploitent les autres et accaparent les richesses du pays, et où il y beaucoup de pauvres. Le Maroc est beau tout de même parce qu’il n’y a pas encore de guerre, pas de violence, parce qu’on y lutte efficacement contre le terrorisme. Ce n’est pas faux, mais c’est dangereux de renvoyer au lendemain les grands chantiers qui attendent : l’école, la santé, la pauvreté.
Personne ne sait de quoi demain est fait, les autres pays aussi étaient en paix avant le nôtre.

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