Ce reportage a été réalisé dans le cadre des activités du réseau Médias indépendants sur le monde arabe. Cette coopération régionale rassemble Maghreb Emergent, Assafir Al-Arabi, Mada Masr, Babelmed, Mashallah News, Nawaat, 7iber et Orient XXI.
Reportage*
Ikhlas, âgée de 45 ans, ne s'attendait pas à ce que la guerre éclate quelques jours avant son opération. Les médecins de l'hôpital italien Al-Salam à Khartoum, spécialisé en chirurgie cardiaque, comptaient lui remplacer deux valves le 24 avril 2023, selon sa sœur.
Alors que la famille commençait ses préparatifs pour l’hospitalisation, le premier coup de feu a retenti le 15 avril 2023 à proximité de l'hôpital situé au sud de Khartoum. La direction de l'hôpital a demandé à tous les patients dont l’hospitalisation était programmée de rester chez eux jusqu'à nouvel ordre. Mais la situation, plutôt que de s’améliorer, a viré au cauchemar.
Ikhlas ne s’est pas désespérée, pensant comme des millions d'autres Soudanais qu'il s'agissait de simples tensions entre l'armée et son bras armé, les Forces de Soutien Rapide (FSR), qui se dissiperaient rapidement. Mais son cœur déjà affaibli n'a pas tenu le coup et elle est décédée quelques semaines plus tard, alors qu'elle caressait encore l'espoir de guérir. Sa sœur raconte qu’ils ont dû la transporter à bord d’un véhicule militaire et faire le tour de plusieurs hôpitaux qui avaient fermé leurs portes ou cessé de fonctionner dès les premières heures de la guerre. La famille s’est acharnée, en vain, à tenter de la sauver. Son décès a été constaté dans un cabinet de gynécologie obstétrique. A cause de la situation chaotique qui régnait alors à Khartoum, la famille n'a pu localiser la tombe d'Ikhlas que plusieurs mois plus tard, toujours selon sa sœur.
Ikhlas est l'une des nombreuses personnes qui ont perdu la vie parce qu'elles n'ont pu accéder aux soins de santé ou ont dû interrompre leur traitement, en particulier pour de maladies chroniques. La London School of Hygiene & Tropical Medicine (École de Londres de la santé publique et de la médecine tropicale) a recensé environ 61 000 décès dans l'État de Khartoum au cours des 14 premiers mois de la guerre, dont 21 000 par balles. L'étude a indiqué que la faim et les maladies évitables étaient la principale cause de décès dans tout le pays, à hauteur de 35 000 personnes.
Avant la guerre, la population de l'État de Khartoum s'élevait à environ 15 millions d'habitants. Des sources officielles de l'État de Khartoum estiment que celle-ci s'élève aujourd’hui à 6 millions, dont la majorité se concentre dans le district de Karary, près de la ville d'Omdourman, et ses 3 millions d'habitants.
Des pertes énormes et une destruction massive du secteur
Le ministère de la Santé ne dispose pas de statistiques officielles concernant le nombre de décès dus à l'absence de soins, mais l'Association des médecins soudanais aux États-Unis (Sudanese American Physicians Association - SAPA) a indiqué dans un rapport que 711 000 patients de l'État de Khartoum sur plus de 2 millions avaient été impactés, soit un tiers d’entre eux directement affectés par les attaques contre les hôpitaux, dont certains ont été mis hors service dès les premiers mois de la guerre.
Ce rapport précise que 70 % des dommages causés aux hôpitaux ont eu lieu entre avril et décembre 2023, dans les zones densément peuplées du centre et du sud de la capitale. La majorité des grands hôpitaux, publics et privés, se concentrent dans les zones du centre et de l'est, à proximité du quartier général de l'armée et de l'aéroport, qui ont été transformés en zones militaires dès les premières heures du conflit.
Le rapport indique également que la moitié des hôpitaux de l'État de Khartoum ont subi des dommages au cours des 500 premiers jours (41 hôpitaux sur 87 ont été touchés), et que la moitié des hôpitaux endommagés fournissaient des soins de santé primaires. Le rapport souligne les risques pour la santé publique à court et à long terme.
A l’échelle nationale, un tiers de 750 hôpitaux du pays ont été endommagés, selon le ministère soudanais de la Santé.
La Sudanese American Physicians Association - SAPA (Association des médecins soudanais aux États-Unis) a indiqué dans un rapport sur les pertes subies par le secteur de la santé qu'un tiers des patients dans l'État de Khartoum ont été directement affectés par les attaques contre les hôpitaux. La London School of Hygiene & Tropical Medicine (École de Londres de la santé publique et de la médecine tropicale) a recensé environ 61 000 décès dans l'État de Khartoum au cours des 14 premiers mois de la guerre, dont 21 000 par balles. L'étude a indiqué que la faim et les maladies évitables étaient la principale cause de décès dans tout le pays.
Entre avril 2023 et décembre 2024, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a recensé 542 attaques contre le système de santé soudanais, ainsi que la mort de 122 professionnels de santé et l'arrestation de dizaines d'autres. Le nombre de décès parmi le personnel de santé est passé à 317 en février 2025.
Une enquête dans l'État de Khartoum, dans le cadre de ce reportage, a révélé des dégâts sans précédent, touchant la plupart des établissements médicaux, tant au niveau des bâtiments que des équipements médicaux et logistiques. À l'hôpital Ibrahim Malik, situé au sud de la ville et considéré comme le plus grand hôpital du ministère de la Santé de l'État de Khartoum, aucune pièce n’a été épargnée. Les actes de vandalisme ont touché l'ensemble de l'hôpital, qui est l'un des plus importants centres de chirurgie cérébrale et neurologique du Soudan, entre autres spécialités. Par exemple, nous avons constaté lors de notre visite la destruction chaotique d'un scanner (tomodensitométrie) d'une valeur de plusieurs millions de dollars. Cet appareil a été vandalisé dans le seul but d'en retirer les fils de cuivre. Le commerce du cuivre -le kilo se vendant moins de 5 dollars- a connu un essor considérable pendant cette guerre, impactant surtout le secteur de l'électricité.
Au cours d'une visite du centre de Khartoum, où se trouvent les principaux hôpitaux et cliniques, tout semblait comme si cette région n'avait jamais connu de présence humaine. Comme il s'agit à l'origine d'une zone non résidentielle, située à proximité du quartier général de l'armée, elle ne montrait aucun signe de vie.



À l'hôpital Ibrahim Malik, une salle de radiologie sophistiquée a été réduite à un tas de gravats (à gauche), et une unité de soins intensifs a été complètement détruite (à droite).
Malgré les opérations de nettoyage, « Al-Shaab » -l'un des plus grands hôpitaux de la capitale et parmi les plus grands hôpitaux universitaires du pays- est aujourd’hui, à l’instar d'autres grands établissements, incapable de reprendre ses activités. Avant la guerre, cet hôpital accueillait des milliers de patients de tout le pays, grâce à sa grande capacité d'accueil et à son immense capacité opérationnelle. Les dernières statistiques, collectées avant la guerre, indiquent que l'hôpital accueillait quotidiennement plus de 1 000 patients atteints de maladies cardiovasculaires.
Les statistiques du ministère de la Santé indiquent que 28 000 cas de cancer sont diagnostiqués chaque année. L’hôpital spécialisé en oncologie a été largement épargné la guerre, son appareil de radiothérapie n'aurait pas été endommagé. Il devrait reprendre ses activités prochainement, mais on ignore si cela sera possible en l’absence de services de base tels que l'eau, l'électricité et l'assainissement.
Il n'y a pratiquement plus d'appareils d'imagerie par résonance magnétique (IRM) dans l'État de Khartoum, à l'exception d'un seul appareil installé dans un centre situé à la périphérie de la ville d'Omdourman. Les patients sont obligés de réserver longtemps à l'avance. L'hôpital d'Omdourman cherche à se procurer un autre appareil IRM, parallèlement à ses efforts pour rouvrir le service de soins intensifs. Khartoum souffre en effet d'un manque aigu de ces services, et les réseaux sociaux regorgent de messages de personnes en quête d'un lit dans une telle unité de soins.
À proximité de l'hôpital Al-Shaab se trouve l'hôpital Al-Dhara, principal centre oncologique du pays. En raison de la forte prévalence du cancer au Soudan, l'hôpital a connu ces dernières années un encombrement constant, de patients venant de toutes les provinces. Les listes d’attente s’allongent, et parfois les patients meurent à défaut de traitements. Les statistiques du ministère de la Santé indiquent que 28 000 cas de cancer sont diagnostiqués chaque année. L’hôpital a été largement épargné par la guerre, et son appareil de radiothérapie n'aurait pas été endommagé. Il devrait reprendre ses activités prochainement, mais on ignore si cela sera possible en l’absence de services de base tels que l'eau, l'électricité et l'assainissement.
A noter que les hôpitaux auxquels recouraient les FSR pour soigner leurs blessés ont été épargnés, et même ceux qui avaient cessé de fonctionner ont pu reprendre leurs activités en un temps record. Citons notamment l'hôpital Al-Bashair au sud de Khartoum et l'hôpital Al-Tamayoz un peu plus au centre.
Le ministère de la Santé de l’État de Khartoum estime les pertes de son secteur sanitaire public et privé à 12 milliards de dollars. Dans un rapport, il souligne que 75 % des hôpitaux publics et privés ont été endommagés et mis hors service à la suite de bombardements. La plupart d’entre eux ont été transformés en casernes militaires par les Force de soutien rapide qui ont pris le contrôle de Khartoum dès les premiers jours du conflit. Selon ce même ministère, 90 % des hôpitaux privés ont été endommagés (73 hôpitaux sur 80), 25 laboratoires pharmaceutiques, 2 300 pharmacies et 450 entreprises fournissant du matériel médical ont été mis hors service.
Entre avril 2023 et décembre 2024, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a recensé 542 attaques contre le système de santé soudanais, ainsi que la mort de 122 professionnels de santé et l'arrestation de dizaines d'autres. Le nombre de décès parmi le personnel de santé est passé à 317 en février 2025.
Le ministère de la Santé s'attend à ce que le système de santé soit soumis à des pressions et à des défis importants si le nombre de citoyens retournant à Khartoum augmente, alors que la plupart des établissements médicaux restent fermés, qu’il y a une pénurie de médicaments et que les coupures d'électricité restent fréquentes.
Des efforts pour compenser les pertes
Ces pertes considérables dans le secteur de la santé ont entraîné une paralysie généralisée des services élémentaires de santé à Khartoum, pourtant mieux lotie en raison de la nature centralisée des régimes successifs au Soudan. En conséquence, les services de santé ont été interrompus dans la région du Darfour, tombé aux mains des FSR après leur prise de contrôle de Khartoum.
Lorsqu'il est devenu impossible de continuer à fournir des services médicaux et sanitaires dans la capitale en raison des opérations militaires, la ville de Wad Madani, capitale de l'État d’Al-Jazirah situé au centre du pays, est devenue un pôle médical alternatif. Avant la guerre, Al-Jazirah disposait d'une infrastructure médicale plutôt acceptable, ce qui lui a donc permis de prendre la relève. Un grand nombre de patients s'y sont rendus pour poursuivre leur traitement, et les cabinets de médecins spécialistes et consultants s'y sont également installés. Mais après la prise de contrôle d’Al-Jazirah par les FSR fin 2023, la situation a empiré, limitant drastiquement l’accès aux soins dans les régions centrales du Soudan. Le ministère de la Santé a alors annoncé que le sort d'un stock de médicaments d'une valeur estimée à 20 millions de dollars était incertain.

Cette situation désastreuse a énormément affecté les soins de santé, qu’ils soient élémentaires ou avancés. Elle s’est encore aggravée avec l’extension du conflit à l’État d’Al-Jazirah, puis à Sannar dans le sud-est du pays, avant que l'armée ne reprenne leur contrôle. Les zones reconquises par l'armée se heurtent à une pénurie de services publics de base.
Le directeur de la médecine préventive, Dr. Ahmed Al-Bashir, a affirmé qu’il privilégiait la reprise d’activité des hôpitaux et des centres médicaux selon la densité de population, et non la situation des hôpitaux avant la guerre. La vie à Khartoum s'est retranchée vers la périphérie dès les premiers mois de la guerre, et le centre-ville étant complètement déserté, ces zones périphériques ont bénéficié de tous les services.
Selon les rapports de l’OMS de mars 2025, plus de 20 millions de Soudanais ont des besoins d’urgence. L'organisation onusienne a cherché à collecter 4 milliards de dollars pour répondre à l'urgence sanitaire au Soudan. Les Nations Unies ont classé le cas soudanais comme étant la plus grande crise d’exode au monde, avec près de 12 millions de déplacés, dont 53 % de mineurs. La moitié de la population a atteint des niveaux élevés d'insécurité alimentaire.
La capitale, Khartoum, est représentative de la situation dans ces zones, et il ne semble pas que le gouvernement dispose d’un plan, même d'urgence, pour changer la donne. En l'absence de financements en raison de la poursuite des opérations militaires dans le pays, tout progrès éventuel reste directement lié aux processus de négociation ou de cessez-le-feu qui pourrait ouvrir la voie à un règlement du conflit.

Malgré les difficultés, les établissements médicaux s’efforcent d’assurer le plus possible de services à Wad Madani, la capitale de l’État d’Al-Jazirah, reprise par l’armée en janvier 2025. Les autorités locales estiment les pertes du secteur sanitaire à 63 millions de dollars. Situé au centre du pays, l’Etat d’Al-Jazirah était l’une des destinations principales pour les soudanais fuyant la guerre, avant de devenir l’unique refuge au centre du pays après la prise de Khartoum par les FSR. Lorsque la guerre a fini par l’atteindre, les services sanitaires se sont interrompus, et la ville et ses alentours se sont vidés de leurs habitants, y compris du personnel médical.
Dr. Osama Abdel Rahman, Directeur général de la santé de l'État d’Al-Jazirah, affirme que le secteur a été gravement endommagé et que les principaux obstacles à la reprise des activités de santé sont le manque de personnel médical et les coupures de l’électricité. M. Abdel Rahman a indiqué que son ministère a pu rétablir de nombreux services, mais que le besoin de soutien persiste, soulignant l’impact des pillages et des actes de vandalisme à l’encontre des équipements médicaux, des véhicules et lds transformateurs électriques. Le ministère essaie de combler le manque de personnel médical en recrutant des coopérants, a-t-il ajouté, affirmant que le manque a été compensé à hauteur de 75%.
La visite de la ville de Wad Madani nous a permis de constater la réouverture du centre de chimiothérapie, mais pas du service de radiothérapie, ce qui aggrave les souffrances des cancéreux qui n'ont d'autre choix que de se rendre dans la région de Merowe, à l'extrême nord du pays. L'hôpital Al-Jazirah, spécialisé dans les maladies rénales, a repris les séances de dialyse, mais pas les transplantations. Notre enquête a également révélé la précarité des interventions chirurgicales. Quant au centre de cardiologie, seules les consultations sont possibles pour le moment, bien qu'il soit l'un des plus grands établissements spécialisés sur le continent. Il a été largement pillé. Autrement, dans la ville, les services de gynécologie, de pédiatrie et les maternité, ainsi que l'hôpital général, fonctionnent normalement.
Dr. Abdel Rahman souligne que les services de vaccination, de nutrition, de santé maternelle et de santé mentale ont été affectés. Le ministère a enregistré une augmentation des maladies infantiles et de la mortalité maternelle. Il indique que l'État a enregistré 30 décès maternels en 2024, puis ce chiffre est tombé à 4 en 2025.
Selon les estimations officielles, la population de l’État d’Al-Jazira s'élevait à environ 12 millions d'habitants, étant donné qu’il a accueilli des millions de personnes fuyant la guerre. Aujourd'hui, après la reprise d’Al-Jazirah par l'armée, la population est estimée à 6 millions d'habitants dont une grande majorité de primo-résidents.
Il semble que la situation dans l'État d’Al-Jazirah soit meilleure que celle de Khartoum, qui tente de rétablir certains services médicaux, ou encore de celle d'Omdourman, l'une des trois villes de l’agglomération. Bien que la guerre ne se soit pas étendue à l'ensemble de la ville d'Omdourman, contrairement à ce qui s'est passé dans les villes de Khartoum et Bahri, elle a laissé des traces apparentes sur un grand nombre d'établissements sanitaires. Les FSR contrôlaient l’ouest de la ville et ses vieux quartiers au sud, tandis que l'armée contrôlait le nord. De nombreux hôpitaux situés dans les zones contrôlées par les FSR ont été mis hors service, notamment l'hôpital universitaire d'Omdourman, qui a repris ses activités grâce au soutien direct du Centre d'aide humanitaire et de secours du Roi Salman (KSRelief), ainsi qu’aux efforts de la population locale. Dr. Abdel Moneim Ali, directeur de l'hôpital d'Omdurman, affirme que tous les services ont repris leurs activités et souligne que l'hôpital propose désormais des prestations qui n'existaient pas avant la guerre, telles que le traitement des maladies du pancréas, comme si le ministère tentait de compenser le manque des services fournis auparavant par Khartoum. L'hôpital d'Omdurman a cessé ses activités pendant plus d'un an, jusqu’en octobre 2024.
Mail il n'y a pratiquement plus d'appareils d'imagerie par résonance magnétique (IRM) dans l'État de Khartoum, à l'exception d'un seul appareil installé dans un centre situé à la périphérie de la ville d'Omdourman. Les patients sont obligés de réserver longtemps à l'avance. L'hôpital d'Omdourman cherche à se procurer un autre appareil IRM, parallèlement à ses efforts pour rouvrir le service de soins intensifs. Khartoum souffre en effet d'un manque aigu de ces services, et les réseaux sociaux regorgent de messages de personnes en quête d'un lit dans une telle unité de soins.


L’encombrement de l’hôpital universitaire d’Omdourman après la reprise de ses activités.
Le directeur de l'hôpital affirme que le KSRelief apporte son soutien au service de soins intensifs : 16 chambres devraient bientôt être prêtes à accueillir les patients. L'hôpital est confronté à des problèmes d'électricité et de carburant, ainsi qu'à une grave pénurie d'oxygène causée par l’arrêt de la principale usine spécialisée de Khartoum. Une fois opérationnels, les services de soins auront besoin de 96 bouteilles d'oxygène par jour, au prix de 10 dollars la bouteille. L'hôpital d'Omdurman fonctionne aujourd’hui avec une capacité de 600 lits, pour une capacité opérationnelle de 800 lits.
Au cours de notre enquête, nous avons constaté une prospérité remarquable des services médicaux dans les zones périphériques, comme si la situation s'était inversée, les habitants des périphéries bénéficiant désormais des services pour lesquels ils se déplaçaient auparavant vers le centre de Khartoum. Ce changement semble logique au vu des politiques du ministère de la Santé de l'État de Khartoum dont le directeur de la médecine préventive, Dr. Ahmed Al-Bashir, a confirmé que la priorité dans la reprise d’activité des hôpitaux et des centres médicaux était donnée aux zones densément peuplées, et non à la situation des hôpitaux avant la guerre. La vie à Khartoum s'est retranchée vers la périphérie dès les premiers mois de la guerre, le centre-ville étant complètement déserté, ces zones périphériques ont bénéficié de tous les services. En effet, les petits centres situés dans les zones rurales des grandes villes, qui ne recevaient pas plus de 10 patients par jour, sont aujourd'hui la destination privilégiée de nombreux citoyens.
Des besoins persistants
Selon les rapports de l’OMS de mars 2025, plus de 20 millions de Soudanais ont des besoins d’urgence. L'organisation onusienne a cherché à collecter 4 milliards de dollars pour répondre à l'urgence sanitaire au Soudan. Les Nations Unies ont classé le cas soudanais comme étant la plus grande crise d’exode au monde, avec environ 12 millions de déplacés, dont 53 % de mineurs. La moitié de la population a atteint des niveaux élevés d'insécurité alimentaire.
Compte tenu de l'intensification et de l'extension géographique des vagues de déplacements, un environnement propice à la propagation des maladies infectieuses s'est installé au Soudan, atteignant des seuils dangereux après plus de deux ans de guerre. Divers types de fièvres se sont propagés, et 2 500 décès dus à l’épidémie de choléra ont été enregistrés.
Dans un contexte de fragilité du système de santé, les services de vaccination ont été complètement interrompus dans certaines régions, et les taux de contamination par la rougeole ont augmenté, avec 5 000 cas enregistrés entre avril et septembre 2023, selon l'OMS. 1 200 enfants ont trouvé la mort, probablement à cause de la rougeole et de la malnutrition.

L'hôpital Alban Jadid, situé dans le quartier El-Haj Yousif à Khartoum, a enregistré trois décès dus à une erreur technique lors de la préparation des doses de vaccin, selon les communiqués du ministère de la Santé d’août 2025. Des médias ont affirmé que la solution utilisée pour le vaccin contre la rougeole avait été mélangée à d'autres solutions dans le réfrigérateur du directeur médical, qui était utilisé par le service de vaccination, en raison d'une panne électrique de son réfrigérateur.
La fièvre dengue s'est largement répandue dans les États de Khartoum et d'Al-Jazirah au cours des derniers mois. Le ministère de la Santé de l'État de Khartoum a recensé 13 692 cas, avec une faible létalité, inférieure au nombre de décès rapportés par les comités de quartier et les associations locales. Ce qui a suscité des doutes. En plus des fièvres, l'État d’Al-Jazirah a été touché par une épidémie d’hépatite A.
Même avant la guerre, le système de santé soudanais souffrait d’une fragilité multidimensionnelle. Il était confronté à des problèmes complexes, en raison des limites budgétaires du ministère, qui ne dépassait guère 10 % du budget global. Cette situation a progressivement érodé son secteur public, parallèlement à une expansion considérable du secteur privé. Les services de santé sont devenus difficilement accessibles pour la majorité des citoyens, dans un pays où le taux de pauvreté s’est largement accru. Selon les derniers rapports officiels, 23 millions des 50 millions de Soudanais vivent sous le seuil de pauvreté.
Compte tenu de l'intensification et de l'extension géographique des vagues de déplacements, un environnement propice à la propagation des maladies infectieuses s'est installé au Soudan, atteignant des seuils dangereux après plus de deux ans de guerre. Divers types de fièvres se sont propagés, et 2500 décès dus à l’épidémie de choléra ont été enregistrés.
L'OMS a estimé que l’offre médicale au Soudan couvrait actuellement un quart des besoins réels. Avec l'aggravation des pénuries au cours des derniers mois et la raréfaction des financements, le secteur de la santé est confronté à des défis majeurs, qui touchent davantage les personnes atteintes de maladies chroniques, et, plus particulièrement, les femmes. Le Fonds des Nations Unies pour la Population estime à 105 000 le nombre de femmes enceintes au Soudan, qui peinent à accéder aux soins, en raison de la fermeture des maternités et de la pénurie de médicaments spécialisés.
Shadha, une jeune femme récemment mariée, nous raconte l'expérience terrifiante de son premier accouchement dans la ville de Bahri, alors sous contrôle des FSR. Agée de 25 ans, Shadha a été contrainte de rester aux côtés de son mari qui s'occupait de son vieux père. À l'approche du terme, aucun hôpital n'était en activité. Shadha a donc dû accoucher chez une sage-femme, dans un environnement risqué et dépourvu de soins médicaux.
En octobre 2024, le ministère de la Santé a annoncé une augmentation des taux de mortalité maternelle et infantile, respectivement de 295 décès pour 100 000 naissances et 51 décès pour 1000 nouveau-nés.
Médecins Sans Frontières (MSF), présente et active au Soudan, a rapporté que le taux de mortalité maternelle enregistré entre janvier et août 2024, dans deux hôpitaux soutenus par l'organisation dans le sud du Darfour, dépassait 7 % du total des décès maternels enregistrés par l'organisation dans le monde en 2023.
Déclin du centre et essor des périphéries
Khartoum, qui était le cœur d’un système fortement centralisé, monopolisait auparavant tous les services médicaux, et attirait des patients venus des quatre coins du pays. Mais la situation s'est inversée après la guerre. Khartoum a été réduite en ruines, et les flux migratoires ont radicalement changé de direction, portés par la quête de soins de santé. De nouvelles destinations, revitalisées par la guerre, attirent désormais les déplacés. À titre d'exemple, L'État du Nil, situé au nord du pays, souffrait, comme les autres régions du Soudan, d’inégalités de développement et d’un manque de services. Ayant échappé à la guerre, il est devenu un refuge. Ainsi, un habitant de l'État du Nil, qui devait auparavant attendre plus de deux mois pour consulter un spécialiste à Khartoum, peut désormais le faire beaucoup rapidement, car ce même spécialiste a quitté la capitale pour l’État du Nil. Les services médicaux s’y sont considérablement développés pendant la guerre.
De son côté, l'hôpital de la police d'Atbara, également dans l'État du Nil s'est transformée en un véritable pôle de commerce et de services pendant le conflit. A l'origine petit centre prenant en charge les cas simples et pratiquant les accouchements, il est devenu un pôle médical accueillant les patients venus de plusieurs régions du Soudan. Dr. Al-Walid Mahjoub, le directeur de l’hôpital, explique que son établissement a dû relever d'importants défis pour développer ses services et s'adapter au contexte national, notamment en se procurant des équipements de radiologie et de laboratoires, et en se dotant d’un groupe électrogène pour faire face à la vétusté du réseau public d’électricité. Progressivement, l'hôpital est passé d'un petit centre disposant d’un seul bloc opératoire à un complexe médical proposant des services de chirurgie orthopédique, neurochirurgie, chirurgie vasculaire, chirurgie plastique et chirurgie maxillo-faciale, ainsi que des unités de soins intensifs pour la réanimation cardiopulmonaire et les maladies cardiovasculaires. Il convient de noter que la plupart de ces services n’étaient auparavant pas disponibles dans l'État du Nil.
L'hôpital dispose actuellement d'une capacité opérationnelle de plus de 200 lits et de 11 salles d'opération, et accueille quotidiennement jusqu’à 750 patients.

Mais le renversement de situation le plus spectaculaire est celui qui a eu lieu dans un petit hôpital situé dans la campagne du sud-ouest de l'État du Nil. Depuis son ouverture en 2008, il remplissait les fonctions d’un centre de santé de base avec une fréquence quotidienne de 15 consultations non urgentes, principalement pour des services simples tels que le traitement des fièvres et des infections mineures, le suivi des maladies chroniques ou encore le traitement de piqûres de scorpion. Mais, aujourd’hui, Al-Jakayka est devenu un hôpital de référence, ses services se sont étendus, et l’une de ses équipes médicales a réalisé un exploit en réussissant la séparation d’un « jumeau parasite » (Ischiopagus).
Le ministère de la Santé a concentré ses efforts sur ce centre pour réduire la pression sur les hôpitaux d’Omdourman. Il a rouvert ses portes fin 2023 et a été doté d’appareils, d’équipements et de personnel spécialisé dans divers services. L'État du Nil a bénéficié de l’exode du personnel médical venant principalement de Khartoum et, étant épargné par la guerre, il est actuellement bien placé pour le développement d’activités économiques et de services.
Avant la guerre, la population de l’État du Nil s’élevait à environ 1.5 millions Avant la guerre, la population de l’État du Nil s’élevait à environ 1,5 millions d’habitants, mais avec l’expansion du conflit armé, celui-ci est devenu une destination principale pour les déplacés, jusqu’à quadrupler sa population, avant que l'armée ne reprenne le contrôle des États d’Al-Jazirah et de Sannar.
Malgré un budget limité, le ministère de la Santé de l'État de Khartoum a réussi à rouvrir certains hôpitaux. Les services y restent toutefois insuffisants à cause de l’instabilité de la situation, notamment de la pénurie importante de personnel médical. Les opérations de recensement se poursuivent, selon le directeur de la médecine thérapeutique au ministère de la santé de l'État de Khartoum. L’agglomération devrait faire face à des défis croissants si les vagues de retours volontaires s'intensifient.
*La vidéo et les photographies présentées dans ce reportage sont la propriété exclusive d’Assafir Al-Arabi.

