Michèle Sibony*
Bravo à tous les signataires de cette belle tribune** pour Gaza, tous musiciens ou dans le domaine de la musique !
Ceux qui nous ont martelé que l’art ne devait pas se mêler de politique, afin d’interdire la parole des artistes contre le génocide, ne connaissent pas le Jazz, musique de résistance par excellence.
Bravo d’être là, car il faut du monde pour lutter contre un génocide. Surtout quand plusieurs gouvernements puissants et coalisés, dont le nôtre, le financent entièrement, assistent l’exécuteur par tous les moyens, militaires, politiques, financiers, industriels, juridiques médiatiques ...
Que dire sur Gaza que nous ne sachions tous déjà...personnellement je n’ai plus de mots... J’ai épuisé les énumérations d’horreurs, d’exécutions systématiques, de bombardements systématiques, de destruction systématiques, de tortures systématiques…
Gaza c’est l’épouvante de l’avenir qui nous est à tous programmé. Si nous baissons la tête nous serons demain les serfs soumis à un pouvoir seigneurial illimité.
L’épouvante aussi pour nous les juifs de ce qui prétend être fait en notre nom, et veut nous intégrer, de gré ou de force, dans les projets éradicateurs d’un occident impérialiste. Pour ceux qui seraient tenté d’assimiler tous les juifs à Israël - comme le font les gouvernements occidentaux d’ailleurs, en assimilant antisionisme et antisémitisme - il faut regarder le rôle central des associations juives aux USA, au Canada, dans la révolte des campus et en Grande Bretagne. Et aussi leur rôle en Allemagne et en France, malgré la répression renforcée dans ces deux pays, dans l’organisation du refus et le mouvement de solidarité avec la Palestine, et par exemple dans l’organisation du premier congrès juif antisioniste mondial à Vienne du 13 au 15 juin dernier. Mais nous sommes encore trop peu, tous, juifs ou non, à nous manifester. Il est vrai que les moyens d’empêcher la parole sont importants. A présent, toutes les universités israéliennes, après la répression et le silence qui ont été imposé par leur direction, arborent quotidiennement le drapeau noir symbole de l’illégalité, et prennent la parole contre le génocide.
Gaza, c’est l’épouvante de l’avenir qui nous est à tous programmé. Si nous baissons la tête, nous serons demain les serfs soumis à un pouvoir seigneurial illimité.
Demain nous devrons tous répondre du génocide devant nos enfants et nos petits-enfants, il faudra au moins pouvoir dire qu’on a refusé et qu’on a lutté. Nous pourrons au moins transmettre çà, on ne s’est pas tu devant l’inacceptable.
Autant on peut déplorer le basculement de toute une société dans le fascisme, autant annuler les expressions de révolte et de solidarité israéliennes qui montent, serait une erreur éthique. A moins qu’on ne cherche à répondre à l’éradication par une autre. Car ces expressions sont le seul germe de changement radical possible du côté de la population juive israélienne. Même mineures, elles montrent qu’il est possible de se décaler des discours de propagande qui ont infecté toute la société.
On constate une véritable hémorragie d’israéliens qui quittent le pays pour l’Europe en général. Sont-ils devenus antisionistes, ou bien ne supportent-ils plus ce qu’est devenu leur pays leur société ? Pour beaucoup il s’agit juste d’attendre que «ça se calme», pour revenir et reprendre «comme en 40» ! Admirez l’expression comme en 40 et ses implications ambivalentes. Repartir comme en 40 c’est repartir en guerre avec enthousiasme, mais c’est aussi recommencer les mêmes erreurs, la même domination coloniale, le même suprématisme qui conduit inéluctablement à des 7 octobre.
Ce qu’il faut réfléchir c’est ce à quoi on nous prépare depuis le début, Gaza va être rasée, vidée de ses habitants par les armes, par la famine, par l’expulsion, (des entreprises israéliennes sont aujourd’hui payées pour chaque maison détruite à Gaza). Et après ? tout ira bien ! Circulez y’aura plus rien à voir. C’est d’abord oublier les fronts secondaires : la Cisjordanie persécutée quotidiennement par des milices coloniales protégées par l’armée, et les Palestiniens de l’intérieur, ceux qui sont citoyens d’Israël, discriminés, et depuis le 7 octobre 2023 paralysés par la répression qui s’abat sur eux dès qu’ils bougent. Je dis « fronts» parce que c’est ainsi que ce régime (et je dis régime pas gouvernement) a toujours conçu la rencontre avec les Palestiniens, depuis les premiers penseurs du sionisme jusqu’à nos jours. Théodore Hertzl écrivait en 1895: nous essayerons de faire passer la population miséreuse de l’autre côté de la frontière, en lui procurant du travail dans les pays de transit, tout en lui refusant tout emploi dans notre propre pays. Israel Zangwill, sioniste juif britannique, écrivait en 1904 : « nous devons être prêts à les chasser de la terre par la force de l’épée comme nos ancêtres l’ont fait aux tribus qui l’habitait. Ce ne sont que deux exemples dans la longue liste des prévisions de tous les fondateurs. Depuis la Naqba, la grande expulsion qui n’a pas été réalisée par l’extrême droite, mais par la gauche des mouvements sionistes de 1948, à l’apartheid, la séparation promue et mise en place par des gouvernements travaillistes, et jusqu’au génocide d’aujourd’hui pour ceux qui sont restés, tous les gouvernements israéliens du régime sioniste, ont activement participé à l’annihilation du peuple palestinien indigène.
On ne fera pas l’économie des conséquences et de la réflexion : cela ne peut se passer comme si de rien n’était, le régime qui préside au massacre au nom de tous les juifs, doit tomber, et ce régime c’est bien au-delà de Netanyahu, celui de l’Etat suprématiste juif, celui du sionisme.
Le professeur philosophe mathématicien religieux Yeshayiahu Leibowitz dans une discussion avec Eyal Sivan (dans le film éponyme) déclarait à peu près : ce ne sont pas les victimes qui doivent s’interroger sur leur nature, ce sont les bourreaux. Ce sont les bourreaux qui devront s’interroger demain sur ce qu’ils ont fait et au nom de quoi ils l’ont fait.
Si en France, en régime républicain, on ne comprend plus très bien ce que signifie un Etat de tous ses citoyens, c’est parce qu’en France aussi on est en train de nous faire avaler la citoyenneté à deux vitesses, avec les lois contre le séparatisme et autres libellés tout aussi débiles, mais visant toutes une minorité nationale soi-disant entriste ou infiltrée. Et ce n’est qu’un début. Le sionisme, émanation de l’Europe impériale, a installé les pratiques coloniales les plus viles en Palestine, et comme le disait Aimé Césaire, dans son discours sur le colonialisme, ces pratiques reviennent ensuite en métropole, en un « choc en retour ». Voici ce qu’il dit sur le nazisme comme retour des pratiques coloniales à l’intérieur de l’Europe, et chacun pourra transposer les situations et les termes : Et alors, un beau jour, la bourgeoisie est réveillée par un formidable choc en retour : les gestapos s’affairent, les prisons s’emplissent, les tortionnaires inventent, raffinent, discutent autour des chevalets.
Depuis la Naqba, la grande expulsion qui n’a pas été réalisée par l’extrême droite, mais par la gauche des mouvements sionistes de 1948, à l’apartheid, la séparation promue et mise en place par des gouvernements travaillistes, et jusqu’au génocide d’aujourd’hui pour ceux qui sont restés, tous les gouvernements israéliens du régime sioniste, ont activement participé à l’annihilation du peuple palestinien indigène.
On ne fera pas l’économie des conséquences et de la réflexion : cela ne peut se passer comme si de rien n’était, le régime qui préside au massacre au nom de tous les juifs, doit tomber, et ce régime c’est bien au-delà de Netanyahu, celui de l’Etat suprématiste juif, celui du sionisme. Le sionisme, émanation de l’Europe impériale, a installé les pratiques coloniales les plus viles en Palestine.
On s'étonne, on s’indigne. On dit : « Comme c’est curieux ! Mais, bah ! C'est le nazisme, ça passera ! » Et on attend, et on espère ; et on se tait à soi-même la vérité, que c'est une barbarie, mais la barbarie suprême, celle qui couronne, celle qui résume la quotidienneté des barbaries : que c'est du nazisme, oui, mais qu'avant d'en être la victime, on en a été le complice, que ce nazisme-là, on l'a supporté avant de le subir, on l'a absous, on a fermé l'œil là-dessus, on l'a légitimé, parce que, jusque-là, il ne s'était appliqué qu'à des peuples non européens.
Et il rappelle plus loin : ...l'action coloniale, l'entreprise coloniale, la conquête coloniale, fondée sur le mépris de l'homme indigène, et justifiée par ce mépris, tend inévitablement à modifier celui qui l'entreprend ; que le colonisateur qui, pour se donner bonne conscience, s'habitue à voir dans l'autre la bête, s'entraîne à le traiter en bête, tend objectivement à se transformer lui-même en bête. C'est cette action, ce choc en retour de la colonisation qu'il importait de signaler.
Dans le grand mouvement de la décolonisation et des indépendances du tiers monde , il y a une décolonisation qui n’a pas été faite, c’est celle des colons, ce qui nous vaut aujourd’hui la colonialité du monde. Les puissances coloniales, la France en tête, ont littéralement recyclé leur colonialisme dans leurs métropoles et dans leur vision impériale du monde. Sans décolonisation du régime sioniste et de ceux qui jouissent des privilèges du colonialisme en Palestine, il n’y aura qu’une reconduction en pire de ce qui se passe, et cette reconduction rejaillira aussi sur nos sociétés en choc en retour, sur ce tout ce qui sera possible et tout ce qui sera permis. – au fait, nous sommes aujourd’hui le 30 juin, anniversaire de l’indépendance du Congo le 30 juin 1960, un pays où la colonisation belge a tué 10 millions de personnes.
Autant on peut déplorer le basculement de toute une société dans le fascisme, autant annuler les expressions de révolte et de solidarité israéliennes qui montent, serait une erreur éthique.
Aimé Césaire dit : «l'action coloniale, l'entreprise coloniale, la conquête coloniale, fondée sur le mépris de l'homme indigène, et justifiée par ce mépris, tend inévitablement à modifier celui qui l'entreprend ; que le colonisateur qui, pour se donner bonne conscience, s'habitue à voir dans l'Autre la bête, s'entraîne à le traiter en bête, tend objectivement à se transformer lui-même en bête. C'est cette action, ce choc en retour de la colonisation qu'il importait de signaler».
Voici un extrait de l’appel au boycott académique et culturel d’Israël, des artistes et travailleurs de la culture palestinienne : nous sommes plus de 20 ans plus tard, et les tergiversations soit disant apolitiques doivent céder le pas à une mobilisation artistique et culturelle massive. Car c’est l’impunité accordée à Israël à tous les niveaux, y compris artistique et culturel, qui permet la continuation de l’annihilation.
TSEDEK, collectif juif décolonial
21-06-2024
La Campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d'Israël (PACBI) a été lancée en 2004 afin de contribuer à la lutte pour la liberté, la justice et l'égalité des Palestiniens. Elle prône le boycott des institutions académiques et culturelles israéliennes en raison de leur complicité profonde et persistante avec le déni par Israël des droits des Palestiniens garantis par le droit international.
PACBI, s’engage à respecter la liberté d’expression telle que stipulée dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies (PIDCP) et, à ce titre, rejette, par principe, le boycott des individus en raison de leur opinion ou de leur identité (comme la citoyenneté, la race, le sexe ou la religion).
Abstenez-vous de participer à toute sorte de coopération, collaboration ou projet culturel conjoint, académique ou culturel, avec des institutions israéliennes,
Faites-vous les porte-parole d’un boycott complet des institutions israéliennes aux niveaux nationaux et internationaux, y compris de la suspension de toute forme de financement et de subvention pour ces institutions,
Promouvez le désengagement d’Israël par les institutions universitaires internationales,
Travaillez à la condamnation de la politique israélienne en poussant à l’adoption de résolutions par les organisations et associations académiques, professionnelles et culturelles.
Demain nous devrons tous répondre du génocide devant nos enfants et nos petits-enfants, il faudra au moins pouvoir dire qu’on a refusé et qu’on a lutté. Nous pourrons au moins transmettre çà, on ne s’est pas tu devant l’inacceptable.
Le monde a besoin d’une musique de résistance, il a besoin du Jazz.
Alors prenez vos trompettes, vos saxos, vos clarinettes, vos percussions, vos voix, et venez dans les manifs pour la Palestine, et jouez le Jazz de la résistance et de la liberté. Jouez pour qu’on vous entende jusqu’à Gaza.
La prochaine manif. À Paris, c’est samedi 5 juillet.
*Intervention de Michèle Sibony, une des porte-parole de l’Union juive française pour la paix (UJFP), dans un concert de jazz spécialement tenu à Paris le 30 juin, pour Gaza et la Palestine.
**Le texte de la tribune, plus de 1200 signataires : https://blogs.mediapart.fr/jazz-palestine/blog/190625/jazz-palestine-eriger-notre-humanite-en-boussole