Par Sabah Jalloul, Assafir Al Arabi, le 18 Mai 2023
Ils disent que 15 Palestinien.nes, dont 4 enfants, ont été tué.es à Gaza. Non, attends, il y a une mise à jour. Ce sont 22, 25, 30 Palestinie.nes, dont 5 ou 6 enfants, qui ont été tué.es. Le nombre de victimes après un bombardement à Gaza est toujours provisoire car la mort se répand rapidement lorsqu’elle entre dans ses rues. Plus de 50 personnes ont également été blessées, certaines grièvement, mais les chaînes de télévision et les sites d’information nous assurent qu’ils nous fourniront les chiffres demain.
Tuer des enfants est devenu “normal”, tout comme le décompte de leurs morts à la télévision et les réactions internationales “choquées” du fait que l’occupation soit capable de ce crime odieux. Puis, inéluctablement, le monde retourne à ses affaires … Comme s’il ne s’était rien passé.
Israël a assassiné trois dirigeants du Jihad Islamique, en bombardant leurs maisons à l’aube, le mardi 9 Mai 2023. Ils ont été tués aux côtés de leurs femmes et de leurs enfants. Les bombes ont plu sur ces enfants à exactement 3 heures du matin, alors qu’ils dormaient. Un sommeil profond les enveloppait, les menant vers de beaux paysages oniriques. Leur respiration devait être douce, lente et tranquille, le genre de respiration que tous les parents du monde connaissent, pour avoir vérifié tant de fois que leur enfant respire et va bien. Ces enfants n’étaient pas sur un champ de bataille lorsqu’ils sont morts. Les enfants de Gaza ne fabriquent pas de bombes pendant leur temps libre. Comme tous les enfants du monde, ils aiment jouer et manger des bonbons, veulent faire des sorties scolaires et partir à l’aventure (et non faire la guerre). Comme tous les enfants du monde, ces enfants-là devaient faire de beaux rêves.
Israël en a décidé autrement. Un petit garçon a été assassiné, une petite fille a été assassinée. Voici leurs visages. Et ceci est le triste exercice que nous nous imposons : nous nous efforçons de regarder attentivement leurs visages, leurs yeux, afin de ne pas nous habituer à la mort des enfants. C’est un exercice cruel… Nous cherchons des photos d’enfants qui ressembleraient aux nôtres, qui auraient les yeux et les caractéristiques des enfants de notre famille ou de nos amis, et nous nous demandons “cet enfant est-il un peu le mien ? Est-ce que je le connais ?”. Et nous sommes sûrs que, d’une certaine façon, nous les connaissons. Donc nous continuons cet exercice pénible. Parce que nous le devons. Parce que cela continue d’arriver, encore et encore. Parce que les bombes et les machines qui créent la mort foisonnent, particulièrement sous occupation israélienne.
À l’aube de ce mardi-là, des familles entières ont été anéanties, parmi lesquelles celle de Jamal Khaswan, tué avec sa femme et son fils. Il était médecin et connu pour fournir des soins médicaux gratuits aux personnes dans le besoin afin de créer un réseau de solidarité dont Gaza, la plus grande prison à ciel ouvert au monde, a tant besoin.
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À Gaza, les enfants sont arrachés à leur sommeil dans la nuit pour être envoyés dans un autre sommeil, dont ils ne reviendront jamais.
Mayar Ezz El-Din est morte à l’âge de dix ans.
Son frère, Ali, est mort à l’âge de huit ans.
Layan Madoukh est morte à l’âge de dix ans.
La plus jeune d’entre eux, Hajar al-Bahtini, est morte à l’âge de cinq ans.
Iman Adass, une adolescente, est morte à l’âge de dix-sept ans.
Lors de la seconde salve d’attaques sur Gaza, Tamim Daoud, un petit garçon de cinq ans, est mort. Son cœur s’est arrêté de battre de peur, pendant le bombardement. Pourquoi un enfant de cinq ans fait-il une crise cardiaque ? Comment est-ce possible ? Peut-on concevoir le niveau de brutalité qui rend le meurtre d’enfants normal ? Peut-on imaginer comme le père et la mère de Tamim ont dû se sentir désespérément impuissants lorsqu’ils ont réalisé qu’ils étaient incapables de protéger le cœur de leur enfant de l’horreur ? De petits corps, de petites âmes, sont volés par l’ennemi et rien de l’enfant ne reste. Nos enfants nous sont entièrement confisqués. C’est d’une cruauté sans nom.
Pendant ce temps, les parlementaires et les médias israéliens ont trouvé le moyen d’exprimer leur inquiétude de la manière la plus répugnante qui soit, non pas concernant les meurtres de ces enfants mais plutôt pour les relations publiques d’Israël, les conséquences sur sa “Hasbara”, son “image”. Pour Israël, ces enfants sont des dommages collatéraux, une simple égratignure au visage de l’Etat occupant. La principale victime de cet événement est la précieuse “réputation” d’Israël. Et tandis que la gentillesse, l’attention et l’empathie sont réservées à l’enfant en pleurs dans les colonies, l’enfant de Gaza, lui, est assassiné, blessé ou rendu orphelin.
Les enfants qui dorment à Gaza sont terriblement seuls.
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17 enfants ont été tués lors de l’attaque de 2022 et plus de 60 lors de celle de 2021, toujours dans la Bande de Gaza assiégée où les opportunités d’emplois, de réussite et de stabilité sont minces, où les jeunes sont victimes dans la vie et dans la mort, et où chaque enfant est soit un martyr soit un ami ou un parent de martyr.
À Gaza, des enfants enterrent des enfants, et ailleurs la vie continue. Tous ces morts ne provoquent pas de panique mondiale. Aujourd’hui les enfants vont mettre une rose sur le pupitre de leur camarade qui ne reviendra plus jamais à l’école, ne fera plus jamais de sortie scolaire et ne rêvera plus d’avenir. Et alors que des enfants enterrent d’autres enfants, nous nous efforçons de faire l’épuisant exercice de les regarder dans les yeux, de chercher sur leurs petits visages des signes de vie, en espérant que nous pourrions, au moins, arrêter de croire qu’apprendre la mort d’enfants est quelque chose de normal. Non, ce n’est pas normal.
Traduit et publié en français par l’Agence Média Palestine, le 26 mai 2023