Hitler, Hajj Amin al-Hussayni et Benyamin Netanyahu

C’est le 20 Octobre 2015, dans un contexte de forte répression israélienne, que le premier ministre israélien Benyamin Netanyahu à tenu son discours devant le 37ème Congrès de l'Organisation Sioniste Mondiale (WZO).  C'est sous la bannière « Non-Stop Zionism » que M. Netanyahu a
2015-11-26

Kawthar Guediri

Chercheure en histoire du sionisme, tunisienne. PhD de l’Université d’Exeter, Angleterre, sous la direction de Elan Pappe


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Jeffar Khalidi-Palestine

C’est le 20 Octobre 2015, dans un contexte de forte répression israélienne, que le premier ministre israélien Benyamin Netanyahu à tenu son discours devant le 37ème Congrès de l'Organisation Sioniste Mondiale (WZO). 
C'est sous la bannière « Non-Stop Zionism » que M. Netanyahu a « révélé » (de nouveau) que Hajj Muhammad Amin al-Hussaini - et non pas Adolf Hitler – a été en fait le cerveau derrière « la solution finale » c'est-à-dire le projet et la mise en œuvre de l’extermination des juifs d'Europe.

Visant à mettre fin aux « mensonges palestiniens » concernant notamment l'esplanade des mosquées et la mosquée al-Aqsa, Benjamin Netanyahu a souhaité tenir un discours de « vérité pure et simple ». Il a ainsi voulu rappeler qu'Israël ne cherche en aucun cas a changer le statu quo ou à détruire la mosquée al-Aqsa, et que ces allégations font partie d’un discours mensonger palestinien vieux de cent ans « […] cette attaque et d'autres attaques contre la communauté juive en 1920, 1921, 1929, ont été incitées par un appel du mufti de Jérusalem Hajj Amin al-Hussaini, qui plus tard a été recherché pour crimes de guerre dans le procès de Nuremberg, parce qu'il avait un rôle central dans l'élaboration de la solution finale. Il s'est rendu à Berlin. Hitler ne voulait alors pas exterminer les juifs, il voulait les expulser. Et Hajj Amin-al-Hussaini est venu à Hitler et dit 'si vous les expulsez, ils viendront tous chez nous'. 'Que devrais-je faire alors ? Aurait demandé Hitler. 'Brûlez-les' aurait répondu le Grand Mufti ».

Ainsi, selon Benyamin Netanyahu, le génocide aurait été fomenté non pas par l’autorité du troisième Reich mais par le Mufti de Jérusalem lui-même. 
En mobilisant un mensonge historique infondé, Benyamin Netanyahu parvient à lui seul, à « régler » le schisme entre les historiens considérant que la solution finale a toujours été au programme d'A.Hitler d'une part, et ceux qui pensent qu'elle a été le fruit de l'échec de la politique d'émigration forcée mise en place par le Reich d'autre part.

Ces propos n'ont évidemment pas manqué de créer la polémique et de nombreux historiens israéliens et occidentaux ont du expliquer que les propos de B.Netanyahu étaient une pure falsification historiquement infondée. Car la tristement célèbre rencontre entre al-Hussaini et le chancelier Nazi en novembre 1941 a Berlin a eu lieu alors que l’extermination des juifs était déjà en amorcée.
Cependant, et bien que les affirmations de B.Netanyahu aient abondamment été décriées, il convient de souligner que ce discours n'est ni une erreur de parcours, ni le fruit d'une ignorance de l'histoire. Rappelons au passage que Netanyahu est fils d’un important historien de la droite sioniste et lui-même bien au fait de l’Histoire. Ce discours avec ses affirmations mensongères est bel et bien le produit d’une stratégie de communication et ce n'est pas un hasard s'il a choisi le congrès sioniste pour le livrer. 
Mais avant de s’interroger sur la stratégie et son objectif, il convient dans ce contexte de rappeler les faits historiques.

Hajj Muhammad Amin al-Hussaini et A.Hitler : De quoi parle-t-on ?

En 1922, la Grande Bretagne obtient le mandat sur la Palestine, un mandat reçu de la Société des Nations et qui réitère par ailleurs la déclaration Balfour. Les palestiniens se retrouvent alors face à une double colonisation – britannique et sioniste – face à laquelle les outils leur manquent. Ainsi, malgré les protestations et révoltes, les arabes et palestiniens ne parviennent à mettre un frein ni à la politique britannique ni à l'avancée du mouvement sioniste. C'est ainsi que dans leurs analyses de la situation et des rapports de force, certains leaders arabes et en ce qui nous concerne Hajj Amin al-Hussaini alors Grand Mufti de Jérusalem (et à partir de 1936 à la tête de Haut Comité Arabe), considérèrent que l'inimitié germano-britannique pouvait faire de l'Allemagne un allié circonstanciel ou objectif de la course à l'indépendance arabe. 
Il convient de rappeler que l'accueil au régime nazi dans les pays arabes fut divers, l'ennemi de l'ennemi ne faisant pas automatiquement un allié. Salué par certains, il était aussi condamné par d'autres qui lui reprochaient son alliance avec l'Italie fasciste (réprimant violemment le soulèvement en  Libye), ou encore son discours raciste. 

La grande révolte palestinienne de 1936 représenta un tournant important sur tous les plans, la violente répression britannique et les délibérations autour de la question de la partition de la Palestine qui s'ensuivirent en 1937 changèrent ainsi la donne. En effet, c'est à cette date que le Mufti rompt avec l'empire Britannique et tente de trouver des soutiens à la cause palestinienne en dehors de l'empire et que le régime nazi s'intéresse – momentanément – aux arabes. 

Dans le but d'obtenir de l'Allemagne qu'elle soutienne les mouvements de libération arabes et qu'elle s'oppose officiellement à la partition et donc à la création d'un État juif en Palestine, le Mufti ainsi que d'autres leaders arabes prirent contact avec le nouveau Consul Général à Jérusalem Walter Döhle ou l'ambassadeur en Irak Fritz Grobba (Francis Nicosia).
Cependant, bien qu'opposé à la création d'un État juif en Palestine qu'il voyait comme une menace (crainte balayée en 1938 lors de l'abandon du rapport de la commission Peel pour la partition) et probablement aussi à la création d'un état arabe – suivant le principe selon lequel seuls les aryens « méritent » l'indépendance nationale, le régime nazi n'avait alors aucunement l'intention de compliquer ses relations avec la Grande Bretagne en s’immisçant dans ses affaires au Moyen Orient (Francis Nicosia). 

Al-Hussaini a entre temps fui la Palestine où il était recherché par les forces britanniques. Du Liban puis d'Irak il appela à continuer la révolte qui fut totalement matée en 1939. Winston Churchill allait quelques mois plus tard autoriser son assassinat (une issue encouragée par les britanniques, le mouvement sioniste mais aussi l'Emir Abdallah de Transjordanie), dont l’exécution revenait à des membres de l'Irgun en lien avec l'armée britannique (Philip Mattar). Dans l'incapacité de retourner en Palestine, il s'exile en Iran avant de rejoindre l'Italie et l'Allemagne en 1941. 
La rencontre entre le Mufti de Jérusalem et Hitler évoquée par Netanyahu a lieu le 28 novembre 1941 et dure en tout et pour tout 95 minutes, il semble par ailleurs que ce soit la seule fois que les deux dirigeants se soient réunis. 

En Allemagne, le Mufti tente de nouveau d'obtenir un soutien officiel aux indépendances arabes et dans la lutte contre l'impérialisme britannique et le sionisme. En échange, il promet de mettre toutes ses ressources « militantes » au service du Reich – bien que ces ressources se soient considérablement amoindries du fait qu'il n'a plus de réelle assise politique. 
Le soutien allemand et italien ne viendra qu'en avril 1942 sous la forme d'un pacte secret (le Mufti n'obtient donc pas le soutien officiel et public escompté) entre l'Italie et le IIIème Reich, dans lequel les deux puissances s'engagent à « accorder aux pays arabes [...] de l'aide dans leur lutte pour la libération ; de reconnaître leur souveraineté et l'indépendance ; d'accepter leur fédération [...]; ainsi que l'abolition du foyer national juif en Palestine » (Philip Mattar). C'est alors que le Mufti commença son effort de guerre, en relayant la propagande nazie en direction du monde arabe par moyen de radio. Une partie de son activité consistait aussi en l'envoi de missives aux autorités allemandes et hongroises leur demandant d'empêcher l'émigration juive en Palestine.

Il convient cependant de relativiser le rôle du Mufti auprès de l'Allemagne nazie. En effet, « en mai 1942 l'unité arabe de la Wehrmacht ne comptait que 130 hommes » quant à la légion arabe italienne, elle ne comptait que 18 palestiniens – dont seulement 8 serviront –  (Gilbert Achkar). Par ailleurs, le Mufti a bien contribué à la mise en place d'unités de Waffen SS, la Handschar et la Kama (constituées de musulmans bosniaques mais aussi de croates catholiques), celle-ci ne commirent pas « d'exactions anti-juives », elle combattirent cependant les partisans communistes menés par Tito dans les Balkans (G.Achcar, P.Mattar, Amandine Rochas). C’est pour cette raison que le nom du Mufti fut inclu dans la liste Yougoslave de criminels de guerre.
Pour la petite histoire, ces unités furent les seules à se mutiner, une mutinerie qui fut réprimée dans le sang, certains hommes finirent par rejoindre les partisans français, d'autres les partisans yougoslaves.

Des milices révisionnistes à Netanyahu

Dans le discours de B.Netanyahu, les non-dits ont leur importance, et c'est ainsi que le mouvement sioniste mainstream mais surtout ses ancêtres politiques les révisionnistes s'en tirent à bon compte. Car, en effet, le Mufti ne fut pas le seul à chercher un soutien en dehors de l'empire...

Au grand dam des juifs dits assimilationnistes, l'avènement du national-socialisme n'est ni dénoncé ni décrié par l'Union Sioniste d'Allemagne (ZVfD) qui même convaincue des similitudes idéologiques entre le sionisme et le national-socialisme – notamment la vision racialisée du monde – sollicite dès 1933 et tout au long des années 1930 l'appui de l'establishment nazi. La ZVfD souhaite en effet, plus que tout conclure un accord permettant aux sionistes de préparer les juifs à l'émigration en Palestine et ni les persécutions ni les lois discriminatoires de Nuremberg en 1935 ne ternirent sa volonté (Lenni Brenner).
Dès 1933 d'ailleurs, la ZVfD participait avec l'agence juive à l'accord de Transfert dit Haavara, qui devait permettre à l'Allemagne de « se débarrasser » des juifs, aux juifs d'Allemagne d'émigrer en Palestine avec une partie de leurs biens tout en cassant le boycott des produits allemands organisé notamment en Grande Bretagne et aux États-Unis pour protester contre la politique anti-juive des nazis (Edwin Black). Cet accord allait continuer à fonctionner jusqu'aux premières années de la guerre (60% du capital investit en Palestine de 1933 à 1939 a été acheminé via cet accord).

Vers le milieu des années 1930, la « question juive » en Allemagne passa progressivement sous le contrôle des SS qui eux-mêmes soutenaient l'émigration massive des juifs vers la Palestine. Dans un mémorandum datant de 1934, ils expliquent la nécessité de convaincre les assimilationnistes en soutenant les efforts déployés par les sionistes « pour instiller une conscience et identité juive parmi les juifs allemands et promouvoir l'émigration en Palestine » (F.Nicosia). Ces efforts se traduisaient par l'établissement d'écoles et institutions juives ainsi que l'ouverture en Allemagne de Umschulungslager – centres de rééducation professionnelle afin de préparer les juifs sionistes allemands à leur nouvelle vie en Palestine. 

Parallèlement, les SS et des organisations membres du courant sioniste révisionniste de Jabotinsky – qui lui même refusait toute collaboration avec les nazis – développèrent des contacts toujours sur la base de la préparation de l'émigration. Il faut rappeler que l'une des factions du courant révisionniste  menée par Abba Achimeir ou encore le Bétar – l'organisation de jeunesse du mouvement – avaient déjà pendant la République de Weimar exprimé leur admiration et identification avec le nazisme. A.Achimeir dut être rappelé à l'ordre par Jabotinsky mais Georg Kareski leader du mouvement révisionniste en Allemagne, a lui vu l'adoption des lois de Nuremberg comme une opportunité pour le sionisme de se développer en marginalisant encore plus les juifs assimilationnistes. Les membres du Betar par exemple étaient les seuls juifs autorisés à porter l'uniforme, en effet ces derniers avaient selon les nazis prouvé qu'ils s'investissaient réellement dans l'émigration juive (F.Nicosia). 

Alors que la seconde guerre mondiale éclate, V.Jabotinsky appelle à arrêter les sabotages et attaques à l'encontre des britanniques mais cet appel est loin de faire l'unanimité au sein du parti et de son organisation militaire l'Irgun (née d'une scission au sein de la Haganah). Cela conduit à une scission au sein de l'Irgun fomentée par Avraham Stern. Ce dernier créera le Lehi (abréviation de : Combattants de la Liberté d’Israël) en 1940 qui entre en contact avec l'Allemagne nazie – via un diplomate nazi à Beyrouth – en 1941 en proposant une alliance au nom de leur inimitié commune avec la Grande-Bretagne mais aussi en vue de développer une collaboration basée sur une idéologie commune – nationalisme et fascisme. Les Allemands ne répondront pas, et l'Irgun et le Lehi continueront leurs attaques terroristes contre les Britanniques d'une part, puis les Palestiniens d'autre part.

    Au vu de ces faits historiques que B.Netanyahu n’ignore pas, on peut se demander quelle est sa stratégie en faisant une déclaration qui ne tient pas historiquement et qu'il s'est retrouvé d'ailleurs à corriger par la suite ? 
Alors, non, le Mufti n'a pas soufflé la solution finale à Hitler et non, il n'a pas été recherché ou poursuivi dans le cadre des procès de Nuremberg.

Mais ce que B.Netanyahu révèle dans son discours, ce sont trois éléments principaux de sa stratégie. 
Tout d'abord, il s'agit d'aborder la question de Palestine sous le prisme de la guerre de survie (c'est un thème qui fait consensus au sein du sionisme), or une guerre de survie n'est ni un conflit ni une guerre coloniale. Et dans une bataille pour la survie, toute action et exaction relève de la légitime défense. 
C'est en quelque sorte ce qu'affirme Abba Eban – ministre des Affaires Étrangères pendant la guerre de 1967 –  en décriant devant la Nations-Unies et donc le monde, qu'un retour aux frontières d'avant 1967 (la ligne verte) équivaudrait à un retour aux « frontières d'Auschwitz ». 
Ben Gurion insistait régulièrement sur les liens entre le Mufti et les nazis. Selon l'Unité 6 de la police israélienne en charge de la préparation du procès d'Adolf Eichmann, Golda Meir (alors ministre des Affaires étrangères) en lien avec le procureur général considérait que d'un point de vue politique, il fallait insister sur les relations entre le Mufti et A.Eichmann – bien qu'il ait lui même nié avoir été en contact avec le Mufti si ce n'est une fois par hasard – . Il est à noter par ailleurs, que les allégations selon lesquelles le Mufti aurait visité Auschwitz n'ont jamais été corroborées. Jamal Abdel Nasser et Yasser Arafat ont aussi fait les frais de la dialectique de la survie, les deux ayant en leur temps été pointés du doigt par ces derniers comme des Hitler contemporains par le leadership sioniste – notamment Menahem Begin –  (Joseph Massad). 
Ensuite, il y a l'élément de la persistance, car contrairement à ce que penseraient les sionistes dits de gauche, cette bataille pour la survie, Netanyahu le précise n’a pas commencé en 1948 ni en 1967 mais c'est une guerre de cent ans. 
Enfin, dernier élément important, Netanyahu s'adresse tout autant au Congrès sioniste qu'aux droites occidentales – européennes et états-uniennes – le barbare oriental sera toujours pire que le barbare occidental et ainsi la boucle est bouclée, Israël et (donc) l'Occident fait face à la même menace permanente, celle des nazis orientaux.

Ce discours finalement révèle une persistance, cette fois-ci bien réelle, celle de la tentative révisionniste d'imposer la vision du « choc des civilisations » par l'usage de la diabolisation et de la nazification de l'autre. C'est une tendance qui a par ailleurs, été marquée par la publication de nombreux ouvrages ces dernières années traitant spécifiquement des relations entre le Mufti et les nazis ou encore entre l'Islam et le fascisme.
Dans « Non-Stop Zionism », il faut surtout entendre Non-Stop Zionist propaganda. 
En recourant sans relâche à ces mensonges, B.Netanyahu espère peut-être donner raison Joseph Goebbels – ministre de la Propagande nazi –  selon lequel « un mensonge répété dix fois reste un mensonge, répété dix mille fois, il devient une vérité ».

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