La fragmentation de l’Irak se joue sur les droits des femmes

Depuis la chute du régime de Saddam Hussein provoquée par l’invasion américaine de 2003, l’Irak se trouve plongé dans une violence à dimension communautaire et un chaos politique sans précédent. Si l’affaiblissement de l’Etat et l’implosion sociale et économique de la société irakienne remonte
2015-03-07

Zahra Ali

Sociologue irakienne


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Itab Hureib- Syrie

Depuis la chute du régime de Saddam Hussein provoquée par l’invasion américaine de 2003, l’Irak se trouve plongé dans une violence à dimension communautaire et un chaos politique sans précédent. Si l’affaiblissement de l’Etat et l’implosion sociale et économique de la société irakienne remonte au moins aux bombardements de la coalition militaire menée par les américains de 1991 et à la catastrophe humanitaire résultant de l’embargo économique qui fut imposé à sa population, l’Irak n’a jamais été aussi fragmenté que depuis l’invasion américaine. Cette fragmentation, institutionnalisée sur des bases ethno-confessionnelles par l’administration américaine durant l’occupation, a un impact sur la société toute entière. Elle a pris une forme très concrète dans la division du territoire aujourd’hui partiellement occupée par Da’ech, ainsi que dans la vie des Baghdadis dont la plupart vivent entre les murs des quartiers se divisant entre Sunnites et Chiites. Mais l’une des donnes souvent négligée de cette fragmentation est sa dimension de genre. 
Pour la première fois depuis l’instauration de la République irakienne le 14 Juillet 1958, il a été proposé lors d’une réunion du Gouvernement Intérimaire Irakien de décembre 2003, par les Islamistes conservateurs Chiites, de recomposer le Code du Statut Personnel Irakien sur une base communautaire, à l’image du Code du Statut Personnel Libanais. Cette proposition avait été justifié par Abdel Aziz al-Hakim, leader de Majlisal-A’la, l’un des principaux partis Islamistes Chiites arrivé au pouvoir avec les forces américaines, comme une expression de la liberté de croyance, qui selon lui avait été brimée sous l’ancien régime. Il s’agissait bien en réalité, de l’affirmation du caractère Chiite de l’Identité irakienne revendiquée par un groupe politique ayant subi la répression de l’ancien régime. Ainsi, le Code du Statut Personnel correspondant à loi n°188 élaborée en 1959, régissant les affaires privées (mariage, héritage, divorce etc.) regroupant l’essentiel de la législation concernant les droits des femmes, ne serait plus appliqué de manière unifiée à tous les citoyens irakiens, mais y serait ajouté un Code spécifique pour les Chiites et chaque communauté se verrait ainsi le droit de réclamer son propre Code. 
Lorsqu’elle a été adoptée en 1959, la loi n°188 représentait l’un des codes les plus progressistes de la région en matière de droit des femmes. Il avait été obtenu grâce à l’activisme des féministes irakiennes, notamment de celles de la Ligue des Femmes Irakiennes (al-Rabitah), dont la figure Nazihay al-Dulaymi, grande militante communiste et première ministre femme arabe, avait participé à la rédaction. Le Code du Statut Personnel accordait même l’égalité en matière d’héritage, ce qui était (et demeure encore aujourd’hui) absolument inédit pour un Code qu’une assemblée de ‘ulémas Sunnites et Chiites avaient contribué à élaborer conjointement avec les autorités irakiennes. La première République irakienne présidée par Abdel Karim Qasem, était née dans un contexte ou la culture politique dominante était celle de la gauche anti-impérialiste irakienne, notamment du Parti Communiste, dont les organisations féminines étaient très actives. C’est donc avant tout une rupture avec cet héritage progressiste, anti-impérialiste et révolutionnaire qui est proposée à travers le questionnement du Code du Statut Personnel.
La proposition du leader du Majlis al-’A’la de décembre 2003 n’avait pas été mise en application, mais elle fut réitérée sous la forme de l’article 41 de la Constitution adoptée en 2005. Plus récemment, dans le contexte des élections parlementaires, Al-Fadhila, autre parti Islamiste Chiite, a réitéré sa demande d’introduire un Code du Statut Personnel exclusivement inspiré de la jurisprudence Ja’fari. Cette jurisprudence implique entre autres, l’autorisation du mariage des filles dès l’âge de 9 ans, considéré comme l’âge de la puberté (Sin al-Balagha).
Les militantes des droits des femmes en Irak regroupé autour du Réseau des Femmes Irakiennes (al-Shabaka) ont dénoncé cette tentative de questionnement du Code du Statut Personnel par des partis qui ont tous en commun d’être conservateurs et communautaires. Elles considèrent que ce Code bien qu’imparfait -il avait été réformé dans un sens plus régressif par le régime de Saddam dans les années 1990- préserve l’unité des irakiens en matière de droits personnels, notamment en ce qui concerne les mariages interconfessionnels, mais aussi garantie une appréhension relativement progressiste des droits des femmes. Les militantes irakiennes pour les droits des femmes dénoncent aussi la prégnance du conservatisme communautaire et religieux qui domine la société irakienne aujourd’hui. Ce conservatisme s’était développé à travers la Campagne de Foi (HamlayImanyah) lancé par Saddam dans les années 1990 et a atteint son paroxysme depuis 2003 avec l’arrivée de partis Islamistes conservateurs au pouvoir. Insistant sur la nécessité de préserver le mariage civil, l’Association des Femmes de Baghdad (Jam’yahNisa’ Baghdad) a d’ailleurs récemment lancé une campagne visant à lutter contre les mariages en dehors du tribunal, ceux-ci appelé Zawaj al-Seyyed, c’est-à-dire des mariages contractés par un représentant religieux, seraient en recrudescence en Irak depuis 2003. Ces unions exposeraient les jeunes femmes à un régime de droits très limité et à une absence de reconnaissance légale vis-à-vis de la loi irakienne. L’association dénonce l’augmentation à travers Zawaj al-Seyyed, des mariages de jeunes filles de l’âge de 12 à 13 ans qui seraient de plus en plus fréquents dans les milieux défavorisés.
Ainsi, la fragmentation de l’identité et du territoire irakien sur des bases ethno-confessionnelles, en plus du chaos sécuritaire qu’elle suscite, a bien un impact réel sur les droits des femmes. Les différents gouvernements irakiens élus depuis 2003, dont la corruption et l’incompétence ne font plus débat, se sont montré incapables de répondre aux besoins les fondamentaux de la population irakienne : la sécurité, l’accès à l’eau potable, l’électricité et à un logement décent. Le communautarisme du gouvernement central et son incapacité à régler les demandes d’égalité de traitement des différentes communautés qui composent l’Irak, et son règlement par la répression des insurrections sunnites à l’Ouest du pays, est en grande partie responsable de la crise politique et militaire que le pays traverse aujourd’hui. De plus, la militarisation de la société irakienne (datant de la moitié des années 1980) accompagnée de la célébration de la figure masculine du soldat, poussée à son paroxysme depuis l’invasion de Da’esh dans le Nord du pays, implique une forme de banalisation de la violence et une recomposition des rapports de genre, régie par des exigences de sécurité et non plus d’égalité de traitement entre les sexes.  
Les américains accompagné par l’ONU et un réseau d’ONG, la nouvelle élite politique Kurde et Chiite arrivée au pouvoir en 2003, ont tous insisté sur la visibilité et la participation politique des femmes. Un quota de 25% (30% au Kurdistan) de femmes dans les assemblées représentatives a même été adopté en 2005. La visibilité politique des femmes, dont la majorité à entrer au Parlement Irakien étaient celles représentant les groupes plus conservateurs et communautaires, à donner bonne conscience à l’administration américaines, aux groupes politiques et aux ONG présentes notamment les premières années de l’occupation.  Pour les femmes irakiennes depuis 2003, on a donc préféré visibilité à égalité, et participation (au chaos) politique, à accès aux droits.

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