Assafir Al-Arabi est une plateforme indépendante qui publie des analyses relatives au Monde Arabe, réalisées par ses écrivain.s.es qui sont tous des acteurs influents, bien enracinés dans leurs sociétés et concernés par les enjeux qui s’y déroulent.
Assafir Al-Arabi veille à présenter ces textes sérieux et inédits dans une langue accessible à tous les lecteurs et pas seulement aux académiciens.
Son objectif est de saisir les expressions de la réalité, même celles occultées pour des raisons diverses, et en particulier celles en relation avec les tentatives d’affronter la dégradation ambiante. Il n'exclut de son centre d'intérêt aucune partie de la région ni aucun groupe de ses habitants, et ne se soumet à aucune censure ni pression.
Transformer le probable en possible
Nous recherchons ce qui n’est pas dévasté au milieu des décombres qui pèsent sur les sociétés de notre région arabe. Nous croyons qu’il s’agit d’une donnée qui existe réellement et qui n’est ni une illusion, ni une invention volontariste de notre part, car des preuves persistantes de son existence subsistent. Ces sociétés sont vivantes, elles se soulèvent contre la misère quand elles le peuvent. En tous les cas, elles persistent à garder des formes diverses de leur capacité d’initiative et de créativité dans tous les domaines, malgré l’écrasement qu’elles subissent de la part de régimes honteusement rétrogrades, avilis, dont les représentants se contentent d'agir comme des mandataires avides à la solde des puissances mondiales dominantes, héritières des anciens colonialismes.
Nous aspirons à mettre en évidence cette vive résistance - ces résistances - et souhaitons saisir ses «Recoupements» – dont nous avons fait le nom de l'organe qui publie Assafir Al-Arabi:
- Les recoupements sur le plan géographique, c’est-à-dire entre les pays de la région, mais aussi avec le reste du monde.
- Les recoupements dans tous les domaines, qu’ils soient politiques, artistiques ou de pensée, et qu’il s’agisse de recoupements élaborés et mûris ou encore au stade du tâtonnement et de l’expérimentation.
Notre mission est de les révéler et de les présenter à nos lecteurs qui sont partout dans le monde, et ce à travers le large réseau de nos écrivains, hommes et femmes, en grande majorité jeunes. Leur jeunesse est une preuve de régénération qui atteste de ces vives résistances contre la dévastation, et du refus de la destruction en dépit des moyens énormes mis en œuvre pour en faire une réalité. Les moins jeunes de nos écrivain.s.es sont là parce qu’ils ont gardé leurs convictions malgré les déceptions et grâce à ces points de lumière qu’ils et elles ont expérimentés tout au long de leurs parcours.
Assafir Al-Arabi est né en 2011. En juillet 2012, après la période des préparatifs, le premier numéro est paru, parrainé avec toute la bienveillance et dans le respect de son indépendance par le quotidien (papier) Assafir, jusqu’au jour où ce dernier a été contraint de cesser de paraître. « Pourquoi Homs s’est révoltée ? » telle était la manchette de ce premier numéro du nouvel hebdomadaire. Nous étions alors au cœur de l’événement et nous avions tenu à fournir des réponses aux interrogations relatives à cette révolte, en recensant les changements profonds qui ont affecté - ou ont été infligés de force, au fil des ans - à la structure productive et sociale de la troisième ville de Syrie. Nous avons montré comment cette rude distorsion explique la révolte de la ville et non pas les quelques divagations sectaires et autres complots supposés...
Dans ce sens, nos écrivain.s.es – dont certains sont chercheurs, d’autres journalistes ou blogueurs et quelques-uns également poètes, cinéastes ou architectes,... – s’évertuent à présenter des textes analytiques accessibles au lecteur, à la fois sérieux et profonds sans être condescendants ou obscurs pour les «non-spécialistes». Ces textes concernent tous les pays de notre région, d’Oman dans son extrême-Est à la Mauritanie dans l’extrême-Ouest, sans exception aucune. Ils sont aussi plus particulièrement consacrés à ces groupes dont on parle toujours en leur nom, sans leur donner la parole : Les femmes, les minorités ethniques et religieuses, les habitants des régions marginalisées, les chômeurs, les anciens esclaves, etc.
Nous sommes nés avec la vague des révolutions de cette dernière décennie, combattues avec une férocité digne du sens qu’elles portaient. Et parce qu’Assafir Al-Arabi fait partie de cette dynamique de lutte, nous avons cherché à prouver que la pauvreté environnante est un appauvrissement et non pas un destin ou une donnée objective, et que la détérioration de l'enseignement public, de la santé et d'autres services de base dans toute société humaine est directement proportionnelle à la progression de la corruption. Appauvrissement et corruption entraînent forcément le troisième élément : la répression. Celle-ci use des balles et des détentions quand elle est crue, mais peut aussi être symbolique, non moins destructrice, quand elle vise à humilier les gens afin de les soumettre. Pour continuer à fonctionner, ces mécanismes misent sur l’enracinement du désespoir et de la frustration conjugués au manque de confiance en soi et même au mépris de soi. Les forces de la contre-révolution ont bien saisi la leçon (surtout des soulèvements de 2011, mais aussi de bien d’autres qui se sont produits avant et après) et procèdent à l’avilissement des populations sans limite aucune ... Et bien que conscients de tout cela, nous ne pensions pas que la situation générale allait atteindre ce niveau de dégradation et de vulgarité à la fois.
Ainsi, encore une fois la réalité, dépasse l’imagination
Sachant à quel point ce que nous voulons d’« Intersections » et de la fonction de Assafir Al-Arabi est en contradiction totale avec ce qui prévaut et domine dans notre région et dans le monde, nous avons décidé de ne pas faire de compromis sur aucun détail, non pas par rigidité mais pour protéger le sens même de notre projet, sans lequel il devient superflu. Quant aux énormes difficultés que nous avons rencontrées et auxquelles nous demeurons confrontés, nous sommes en train de les démanteler et de les surmonter, ou de les endurer et de les accepter, sans pour autant céder devant des «réalités» auxquelles, nous dit-on, nous voulons rester obstinément aveugles :
• On prétend qu’il n'y a absolument pas de région arabe, non pas pour souligner la nécessité de critiquer la pensée nationaliste arabe irresponsable et primitive, mais plutôt pour nous pousser à admettre une désintégration de la région, et nous plonger dans le néant. De même on prétend que la structure de nos sociétés repose sur le tribalisme sectaire, ou qu'elle est régionaliste ou ethnicisée, et qu'il n'y a point d’autre vérité que ces composantes primaires. Cela est avancé avec une superbe qui omet que ces structures sont problématiques et qu’elles ont donc tendance à provoquer les conflits, à alimenter intolérance et enfermement et à générer une autodestruction absurde ... Assafir Al-Arabi a choisi, lui, de ne pas se reconnaître d’une "identité" au sein de ces polarisations, ni d'avoir des intérêts communs avec elles. Il traite les faits, en prêtant son attention aux efforts qui freinent la violence parce qu’elle travestit les lois de la société humaine et la livre à la loi de « l’exception » avec toutes ses conséquences irréversibles. Notre média s’intéresse aux préoccupations économiques et sociales des gens, à leurs souffrances et frustrations, mais aussi, et peut-être surtout, à leurs aspirations, qu'ils soient arabes, kurdes ou amazighs, musulmans ou chrétiens, ou de toute autre religion ... ou encore sans religion du tout.
• On prétend que la question palestinienne n’a plus aucun crédit et que la libération de la Palestine de l’occupation coloniale a été oubliée et/ou a échoué, alors qu’Assafir Al-Arabi adhère de manière intellectuelle et militante à la voie qui prouve le contraire, d’abord comme position relevant des principes humains profonds, ensuite parce que c’est une réalité objective confirmée continuellement.
• L’idéologie dominante dans notre région (et dans le monde) tourne en dérision tout engagement dans un système de valeurs qui rejette l'injustice, l’exaction, la persécution, l'avilissement, l'appauvrissement, etc. Alors qu’Assafir Al-Arabi considère qu'il ne s'agit pas là de destinées mais d'une organisation sociale qui peut être renversée. Qui doit être renversée. Il consacre toute son orientation éditoriale à porter cette conviction et ce qui la prouve.
• Cette idéologie dominante dédaigne aussi les réalisations collectives et sacralise l'individualisme en considérant que le seul accomplissement est dans les «succès» des héros dans quelques domaines qu'ils soient. Tandis qu’Assafir Al-Arabi mesure son succès dans l'établissement du réseau de ses écrivain.s.es, ses contributeurs et lecteurs, ainsi que dans l’élargissement constant de ce réseau et la diversité de ses membres. Il considère qu’ils forment sa seule image.
• Notre région est représentée - par les autres, et parfois même par ses propres habitants - comme une zone arriérée, impuissante, confuse, sanguinaire, etc. Et tout cela est servi comme une caractéristique «génétique», si étroitement liée à la région qu’elle ne peut s’en défaire. Assafir Al-Arabi cherche, quant à lui, à mettre en évidence les immenses potentiels que possède cette région, qui existent vraiment et de manière réelle dans tous les domaines. Il présente ainsi les initiatives collectives, les formes de résistances quotidiennes et les efforts intellectuels, artistiques et esthétiques qui s'expriment à tout moment.
• Assafir Al-Arabi aspire, lui-même, à maîtriser et à parfaire son travail, il refuse l'approximation, le conformisme et le fait de se contenter du minimum. Il ne publie que des travaux d’écrivains, de chercheurs, d’illustrateurs, de peintres, de photographes, etc. hommes et femmes de la région, compétents d’abord, ayant ensuite des préoccupations et des convictions convergentes et la volonté commune de s’opposer à la laideur, au découragement et à la désespérance. C’est ainsi qu’il met en œuvre sa devise: «Rechercher ce qui n’est pas dévasté au milieu des décombres». Il s'y tient et le présente comme une preuve de ce «probable» qui, pour devenir « possible », nécessite bien sûr un effort persévérant et intelligent.
Nous traçons notre politique éditoriale dans nos textes, avec leur diversité et les différents éclairages donnés par leurs recoupements. La question est : un tel projet est-il viable? Existe-t-il des groupes – même très rares aujourd’hui - qui s'y reconnaissent et veulent le préserver? Nous, vaste réseau de ceux qui portent Assafir Al-Arabi, nous en sommes convaincus. Nous connaissons en même temps, sincèrement et sans crédulité, les limites de l’influence de cet effort sur une réalité en ruines. Mais nous supposons que ce projet et bien d'autres peuvent être un point d'appui, même infinitésimal - un atome parmi d’autres – qui crée l'énergie à même de transformer le probable en possible!