Dernière demeure

Comment gère-t-on la mort de "l’autre"? De celui ou de celle que l’on considère différent, étranger, et qui parfois est rejeté? La France est-elle toujours capable d’accompagner jusqu’au bout les gens qui vivent ou qui passent sur son territoire? Dans un moment où les identités se figent, où chacun renvoie l’autre à l’ailleurs, que fait-on de la mort?
2017-10-02

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محمد خياطة - سوريا

Comment gère-t-on la mort de "l’autre"? De celui ou de celle que l’on considère différent, étranger, et qui parfois est rejeté? La France est-elle toujours capable d’accompagner jusqu’au bout les gens qui vivent ou qui passent sur son territoire? Dans un moment où les identités se figent, où chacun renvoie l’autre à l’ailleurs, que fait-on de la mort? Quelle hommage rend-on? Refuse-t-on toute dignité au défunt? En longeant la frontière Est, en passant de Strasbourg à la Côte d’Azur, on se rend compte que les expériences diffèrent. Peut-être parce que les histoires et les moment ne sont pas les mêmes.

Partie 1: Strasbourg
Mourir en terre de Concordat

A Strasbourg en 2012 le premier cimetière musulman public de France a été créé. Preuve s'il le fallait qu'il est toujours possible de faire de la place, ici en l’occurence à une religion considérée comme nouvelle.

 

Il fait beau ce jour là. L'herbe du cimetière vient d'être taillée. Le cimetière est accueillant. Aussi étrange que cet adjectif peut paraître. Le cimetière est accueillant. Et on se dit que les morts doivent y être bien.

Au sud de la ville de Strasbourg le premier et unique cimetière public musulman de France a été inauguré en février 2012. Etre musulman, cela ne veut plus dire, aujourd'hui en France, être étranger. Reste qu'il fut un temps où cela l'était. Un temps où la France allait chercher sa main d'œuvre au sud de la Méditerranée, usait des hommes jusqu'à la moelle, tout en considérant qu'il devaient ensuite "rentrer chez eux".

Le mythe du retour a fini par s'effondrer et ces travailleurs, maghrébins pour les plus anciens, rejoints au fur et à mesure par des Subsahariens, se sont installés durablement en France, seuls ou en famille, car c'est ici qu'ils ont construit leur vie, et que la France, c'est aussi chez eux.

Légende: Cimetière musulman de Strasbourg. Crédit image: Sana Sbouai

 

"Que peut-il y avoir de plus comme "chez soi" que l'envie d'être mêlé à cette terre?" questionne Mustapha El Hamdani, militant associatif, passé un temps par la politique, qui a participé en 1985 à la fondation de l'Association des Travailleurs Maghrébins de France à Strasbourg, puis à la création, en 2008, de Calima: Coordination Alsacienne de l’Immigration Maghrébine, qu’il coordonne toujours.

Son implication dans le monde de l’aide sociale et l'immigration le fait plonger dans un travail d'accompagnement des retraités immigrés, souvent pour l’obtention de leurs droits sociaux. Au fil du temps, une complicité s’est créée entre lui et les vieux hommes, qui lui confient leurs joies et leurs peines.

Il se rappelle clairement du jour de l’inauguration du cimetière: "Il y avait ce vieux travailleur maghrébin qui regardait partout autour de lui et qui m'a demandé: “Pourquoi le maire, le préfet et tous ces officiels sont là?” Je lui ai expliqué que cette cérémonie ce n'était pas rien, que c'était un événement unique. Du coup il a commencé pleuré. Et puis il m’a dit que c'était la première fois qu'il se sentait appartenir à cette terre d'Alsace. Pour lui cet événement était  une reconnaissance de tout ce qu’il avait apporté à cette terre. Une reconnaissance pour lui et sa famille."


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Selon M. El Hamdani, ce que ce vieil homme lui expliquait, c’est, qu’en quelque sorte, un combat avait été gagné. Et qu’au sentiment de reconnaissance se mêlait à celui de la dignité. "Peut-être n'avons nous pas vécu avec toute notre dignité, mais nous mourons avec", explique Mustafa El Hamdani. Et d’ajouter  "C'est le seul moment où tu sens que le mythe du retour s'évapore, tout seul, alors qu'il ne les a jamais quitté."

M. El Hamdani est présent dans le quotidien de ces personnes âgées et suit de près les projets de chacun. Il connaît les histoires et les rêves, est tenu au courant de l'avancement des travaux des maisons de chacun dans son pays respectif, n'hésite pas à taquiner pour savoir qui souhaite rentrer et qui souhaite rester en France. Et bien souvent la réponse est la même : la France est le pays choisi. Et quand Mustafa El Hamdani va plus loin et demande le lieu d’inhumation envisagé la réponse arrive de manière pudique et déguisée :  "C'est ma famille qui décide. On peut m'enterrer ici ou au pays!".

 

En terre de Concordat

Même si cinq carrés musulmans existaient déjà dans les cimetières de la ville, l’ouverture de ce lieu d’inhumation a été ressenti comme un symbole fort.

Bénédicte Bauer, responsable du service funéraire de la ville de Strasbourg, explique  la genèse du projet. "Il existait à la base un projet d'extension du cimetière sud. Mais avec les élections, il y avait des engagements politiques envers la communauté musulmane qui avait fait part de ses besoins. Très vite, l’idée est venue de consacrer un nouvel espace, assez étendu, à l'inhumation des personnes de confession musulmane."

Et si cette ouverture a pu avoir lieu, dans un pays où depuis plus de 130 ans le caractère confessionnel des cimetières a été aboli, c’est du fait du Concordat, explique-t-elle. Un régime qui n’a pas abrogé la séparation entre l’Eglise et l’Etat et qui a permis de séparer les espaces selon les confessions. Ainsi, même si à l’époque du Concordat, la religion musulmane n’était pas mentionnée, il a suffi de travailler par analogie, en se calquant sur la relation d’exception que l’Alsace Lorraine entretient avec la religion.

Et c’est également tout un travail de coordination entre les différentes communautés musulmanes de la région, ainsi qu’un travail de connaissance des rites funéraires musulmans qui ont été nécessaires, pour que le lieu ouvre ses portes.

 

Chaises baladeuses

Avec le temps les tombes sont de plus en plus stylisées. Crédit: Sana Sbouai

 

"C'est un lieu plein de vie, raconte Renaud Kintz, le directeur du cimetière musulman. Ici les familles viennent et passent du temps. D'ailleurs elles laissent leur tabourets, qui se baladent d'une tombe à l'autre en fonction des visites. Le vendredi, les gens viennent, souvent à plusieurs, ils prient, discutent, se retrouvent, c'est vivant."

M. Kintz raconte aussi les évolutions dans les rites, visibles en une simple balade entre les carrés musulmans et le cimetière. A la base des tombes sont faites d’un simple tertre, sur lequel est planté une planche de bois qui porte le nom du défunt, et qui se désagrège avec le temps. "Mais de plus en plus de familles font appel à des marbriers qui ont trouvé des monuments avec des formes appropriées, explique-t-il. Ils proposent de plus en plus de modèles à l’esthétique orientale, avec des croissants de lune gravés dans le marbre par exemple."

 

A l'hôpital

Une attention de plus en plus grande est portée aux sépultures car, comme en est témoin  Mohamed Latahy, l'aumônier musulman des hôpitaux universitaires de Strasbourg, de plus en plus de travailleurs immigrés et leur famille, décident d’être enterrés à Strasbourg.

L'aumônier s'occupe des personnes en fin de vie, et de l'accompagnement à domicile. "Avant les patients disaient : si il y avait un cimetière au moins, je me serai fait enterrer ici. Depuis qu'il a ouvert, même si ce n'est pas la majorité, il y a de nombreuses personnes qui préfèrent être enterrées ici, car leur enfants sont là. Du coup il y a des liens qui restent.."

Le "retour au pays" brandi aux visages des travailleurs immigrés n‘a pas lieu d’être pour Eric Schultz, adjoint au maire de la ville de Strasbourg. "Il y a aujourd'hui des traditions familiales plus ancrées. Les familles sont là, installées, posées, comme tout le monde. Et la manière dont on pouvait faire enterrer les défunts il y a des années, en les faisant retourner, entre guillemets, dans leur pays, eh bien aujourd’hui, cette option se pose de moins en moins parce que leur pays c'est ici. A partir du moment où l'on a vécu ici, travailler ici, vu ses enfants naître ici, il est tout à fait normal de pouvoir être enterré ici. Il y a donc nécessité de prendre des dispositions pour permettre à tout le monde d'honorer ses morts, dans de bonnes conditions."

Ce cimetière c’est aussi une manière parmi d’autres d’être dans une quête d’égalité permanente, explique-t-il : "Aux discriminations qui peuvent avoir lieu du vivant de certaines personnes, il ne faut pas rajouter une discrimination après leur vie, dans leur repos."

 

Au delà de l'intégration

Une tombe traditionnelle dans le carré musulman du cimetière adjacent. Crédit :Sana Sbouai

 

"Il n'y a pas de mort de première ou seconde zone. Tout le monde doit être accueilli à égalité", explique M. Schultz. Pour lui, la question du cimetière musulman va au-delà de la question de l'intégration. "Nous nous inscrivons dans un courant inclusif : chacun doit se sentir chez soi dans la République, dans la vie comme dans la mort et chacun doit pouvoir, d'un bout à l'autre de sa vie, avoir sa place, comme tous les citoyens, dans la République et ses institutions", explique-t-il.  

Finalement à Strasbourg, il a été possible de faire une place à tous, et reconnaître comme faisant partie de la communauté nationale une partie de la population longtemps rejetée, et dont on attendait qu'elle "rentre chez elle", sans que la mesure du nouveau chez soi ait été prise.

Dans le sud de la France la situation est toute autre. Les décès de migrants qui veulent passer de l'Italie à la France sont passés sous silence. Sur place, les citoyens solidaires et militants s'inquiètent de cette situation.

 

Partie 2:
Compter les morts sur la Côte d’Azur

La mort n'est pas toujours bien accueillie et peut même embarrasser. Le long de la frontière franco-italienne plus d'une dizaine de migrants ont perdu la vie ces derniers mois en empruntant des chemins dangereux pour passer la frontière. Sur place, les militants ne savent pas ce qu’il advient des corps.

 

Depuis les côtes italiennes on aperçoit la France. Crédit: Sana Sbouai

 

La Côte d'Azur dans l'imaginaire de beaucoup, c'est la mer, le beau temps, les stars et une vie de luxe. C'est aussi le racisme d'une région très ancrée à droite. La mort en tout cas ne fait pas partie du tableau. Et pourtant. En octobre 2016 une nouvelle faisait la une. Une enfant de 17 ans venait de perdre la vie, fauchée par un camion, alors qu'elle essayait de se rendre à pied en France. Millet, jeune fille érythréenne, avait toute la vie devant elle, alors même qu'elle avait déjà parcouru un si long chemin.

A Vintimille, ville italienne frontalière, ses obsèques avaient été célébrées en présence de ses sœurs et de son frère dans l'église San Antonio. Millet, niée dans son existence, mais dont la mort n'a pas pu être effacée.

Don Rito, le curé de l’église, s'était excusé : «Nous te demandons pardon, parce que nous en tant que simples citoyens et comme chrétiens, nous devons être plus déterminés à intercéder auprès des puissants, dont tu es une autre victime, afin qu’ils se préoccupent de la vie humaine, des personnes pauvres, de la paix et de la justice globale et pas seulement des intérêts économiques et du bien être d’un petit nombre.»

Dans son homélie Monseigneur Suetta, évêque de Vintimille, a eu des mots forts. Pour lui, Millet est "une victime de nos frontières, aussi légales qu’injustes quand elles viennent se claquer au visage des gens et se ferment inexorablement, malgré leurs appels à l’aide. " C’est aussi "une victime de notre hypocrisie".

Le corps de Millet avait ensuite été rapatrié, après qu'une collecte ait permis de récupérer les fonds nécessaires.

Mais combien de défunts dont on ne sait rien, ou si peu, et pour lesquels aucun mot n'est prononcé?

 

Compter les morts

Une tentative de décompte des morts est tenue par les associations sur le terrain. On apprend ainsi qu'entre l'automne 2016 et le printemps 2017 en plus de la jeune Millet, 11 personnes ont perdu la vie.

En  septembre 2016, un jeune homme mourrait d'une chute d'un viaduc côté français en essayant d'échapper aux forces de l'ordre ; en octobre un autre jeune homme était percuté par une voiture sur l'A8 ; en novembre, un jeune de 23 ans se noyaitdans la Roya ; avant Noël c'était un Algérien qui perdait la vie percuté par un train en Italie, à quelques encablures de la frontièrefrançaise; puis en janvier et en février, même scénario avec deux jeunes hommes percutés par un scooter et par un train. En février un jeune homme était retrouvé électrocuté sur le toit d'un train en gare de Cannes, la Bocca. En mars 2017 un jeune homme mourrait en tombant d'un sentier de montagne reliant l'Italie à la France, quelques jours plus tard  un homme de 35 ans se jetait dans le vide au poste frontière et au mois de mai de cette année deux hommes étaient électrocutés dans les compartiments techniques de train reliant l'Italie à la France.

Douze décès, auxquels s'ajouteront, les morts anonymes, dont les corps risquent d'être découverts petit à petit, craint Teresa Maffeis militante des droits humains, à la tête de l'Association pour la Démocratie à Nice (ADN) et qui vient en aide aux migrants dans les Alpes Maritimes comme en Italie.

 

" ... voilà ils sont tombés, ils sont morts, ils n'existent plus..."

Légende: Le pont autoroutier reliant l’Italie à la France. Crédit: Sana Sbouai

 

Teresa Maffeis se rappelle avec émotion des mots de Monseigneur Suetta lors des obsèques de la jeune Millet. Cette mort tragique, faisait écho pour elle à la situation des migrants qu'elle croise régulièrement. Elle n'accepte pas l'invisibilisation de leur mort.

"Il y a tous ces gens qui meurent, pour lesquels tu lis une petite information dans les journaux, mais dont on ne note même pas le nom... On a l'impression que les gens sont morts : voilà ils sont tombés, ils sont morts, ils n'existent plus... Il n'y a pas de corps, il n'y a pas d'informations, tu ne sais pas ce qu'ils sont devenus. Moi c'est une question qui me travaille. Comment peux-tu ne rien dire... ? Ne pas faire une cérémonie...? Est-ce que ses parents le savent ? Que devient le corps, surtout si on ne connait même pas son nom ? C'est quelque chose qui m'obsède."

 

Solidarité

L'été et la chaleur n'ont pas eu raison de l'activité de Teresa Maffeis, qui n'a pas ralenti son rythme. Elle continue de se rendre en Italie pour aider. Ce matin là, elle a pris un train tôt pour assurer la réception d'un stock de vêtements, offerte par un couple de suédois, qui habitent dans la Vallée de la Roya. "On ne croit pas à la situation jusqu'à ce qu'on la voit de ses yeux" explique abasourdie la suédoise. Traduction : c'est quand elle a pris en charge des migrants que la réalité est arrivée jusqu'à elle.

Dans la cours du local, une file d'attente de migrants est déjà formée, alors que le lieu vient à peine d'ouvrir ses portes. Par petit groupes, ils accèdent à l'intérieur de l'enceinte. Ils y reçoivent un petit-déjeuner : du café, des tartines et des fruits et quelques des vêtements. Une petite vingtaine de bénévoles s'active, donnant des renseignements ou préparant le déjeuner en cuisine.

Le local Caritas fait partie des lieux d'accueil pour les migrants à Vintimille. Au mur une liste en français, anglais, arabe et araméen , donne des explications sur les endroits où les migrants peuvent trouver de l'aide de ce côté là de la frontière.


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Teresa Maffeis sert un peu de lien entre l'action en France et en Italie, pour essayer de coordonner les actions, partager les infos, pour qu'il y ait une continuité entre ce que les citoyens font des deux côtés de la frontières.

"Les migrants qui sont ici sont stoppés dans leur voyage, explique Teresa. Ils ne veulent pas rester en Italie, ils sont devant une frontière, qu'ils souhaitent franchir, pour s'installer ailleurs, retrouver des proches ou des amis."

Et c'est lors de ce passage que la traque par les forces de l'ordre rend périlleux, que les migrants perdent la vie. Si certains vont tenter de passer en train ou de suivre à pied le réseau routier ou ferroviaire, d'autre vont emprunter le réseaux de chemins de montagne.

 

Le Pas de la mort

Enzo Barnabà, historien et écrivain, connaît toutes les histoires de la région. De son village, perché au dessus de la mer, à quelques encablures de la frontières, côté italien, il témoigne de la réalité du coin. C'est un oeil historique qu'il pose sur le sentier du Pas de la mort et le réseau de sentiers de montagne, qui, de tout temps, ont permis à ceux qui en avaient besoin, de passer d'un pays à l'autre, pour trouver refuge.

Enzo Barnabà raconte les Italiens socialistes et anarchistes qui cherchent asile et travail en France, les gens persécutés par le fascisme, la vallée qui a vu passer bon nombre de personnes, trimballant avec elles leurs histoires et leur vie.

Aujourd’hui, les sentiers sont toujours empruntés et les traces sont visibles. Des vêtements jetés ça et là, aux produits de premières nécessité abandonnés en chemin, la vie par la fuite est bien présente. Et l'idée qu'une traque a lieu prend doucement le dessus. La balade entre les arbres, rythmée par le chant des cigales, laisse place à une atmosphère plus sombre, quand, en contrebas on aperçoit un des ponts autoroutiers, auquel est accroché un panneau sur lequel le mot France est inscrit en lettres blanches sur fond bleu, entouré d'un cercle d'étoiles jaunes. Les étoiles de l'Europe, cette union d'idéaux, qui tombent en morceaux, quand vient le temps des frontières.

Si aujourd’hui, il est si compliqué de passer, c’est que la situation a changé : "Il y a en France la peur de l'invasion. Il y a cette crainte."

Interrogé sur les morts, il répond : "Finalement on ne sait rien. C'est le cas pour les deux personnes tombées du viaduc de St Agnés. Que sont-ils devenus? On ne sait pas...".

Légende: Au fil de leur voyage les migrants se défont de certaines affaires. Crédit: Sana Sbouai

 

"Chape de plomb"

Comme Teresa Maffeis et Enzo Barnabà, Aurélie Selvi, journaliste niçoise se questionne sur ce qu'il advient des corps des migrants décédés. Teresa et Aurélie travaillent à la rédaction d'un livre qui revient sur les deux ans de "crise migratoire" dans la région. La question des décès y est posée. La jeune femme a enquêté. Sans réponse des autorités.

"Il y  a une chape de plomb sur cette question. La préfecture et le parquet ne répondent pas. On nous retourne le secret médical. On nous dit que c'est personnel... C'est extrêmement préoccupant, car les gens meurent de façon atroce et on ne peut rien faire."
Pour Aurélie Selvi cette question revêt un aspect philosophique et politique important : "Nous sommes face à une crise humanitaire, qui met à l'épreuve notre humanisme. On se demande ce qu'il advient des corps. Est-ce que les identités sont retracées ? Comment le sont-elles ? le sont-elles toutes ? On sait que certains migrants n'ont pas de document d'identité, qu'ils les jettent en mer, qu'ils les brûlent, que certains effacent leur empreintes digitales pour ne pas être ‘dubliné'."

Ce silence des autorités et l'absence d'action est inquiétant explique-t-elle : "C'est fou qu'un travail ne soit pas fait pour redonner de la dignité à ces gens. C'est symptomatique du cynisme de la région."

Comme Teresa Maffeis, elle note que la couverture médiatique est toujours réduite au minimum lorsqu'il s'agit de décès de migrants :

"Quand en mai dernier, en plein festival de Cannes, un être humain meurt électrocuté à quelques jets de galets du palais des festivals, l'info fait une brève et ça n’émeut ou ne génère pas d'empathie. Comme si un migrant qui meurt, ce n'était pas tout à fait un être humain."

 

“... on a renvoyé le corps, c'est comme quelqu'un qui est passé et qui est parti. Point barre."

En plus de rejeter les migrants de passage et de les refouler à la frontière, en usant de méthodes à la limite de la légalité, comme le soulignait il y a peu un rapport d’Amnesty international, il y a actuellement comme une volonté de passer sous silence les morts, victimes des frontières françaises.

Teresa Maffeis s’interroge sur la responsabilité des autorités : "Il y a une histoire de refus : puisqu'on ne veut pas des migrants, on ne va pas,  en plus, dire : “Ce migrant a voulu être là et il est mort dans notre pays, qui ne voulait pas de lui.” Que peuvent dire les autorités ? Je crois que personne n’est capable d'en parler. Comment un préfet peut annoncer qu’un migrant est mort en tombant d’un pont ou sur une route, en rentrant en France ? A la place on nous dira peut-être : on a renvoyé le corps, c'est comme quelqu'un qui est passé et qui est parti. Point barre."

En attendant d’avoir un jour peut-être des réponses sur le traitement réservé aux corps des défunts Teresa Maffeis ne peut pas s’empêcher de penser à une autre question : et si les corps étaient dans une fosse commune ?  "Moi ça m'obsède. Et personne ne sait ce que les corps sont devenus."

 

Note : Ce reportage a pu être réalisé grâce au soutien de OPEN Media Hub avec des fonds fournis par l'Union européenne.


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