Du Populisme national au néo-Populisme mondialisé

Le résultat du premier tour des élections présidentielles françaises était annoncé depuis plusieurs semaines. La seule incertitude qui planait sur ce tour de qualification était l’ordre d’arrivée des deux candidats identifiés par les sondages.
2017-04-28

Omar Benderra

Economiste, d’Algérie. Membre d’Algeria-Watch


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Mohamed Ben Slama - Tunisie

Le résultat du premier tour des élections présidentielles françaises était annoncé depuis plusieurs semaines. La seule incertitude qui planait sur ce tour de qualification était l’ordre d’arrivée des deux candidats identifiés par les sondages. Qui serait en tête d’Emmanuel Macron ou de Marine Le Pen ? Au bout d’un bien maigre suspense, c’est donc le candidat présenté comme centriste qui devance l’héritière du refondateur de l’extrême droite française.

 

La fabrication d’un candidat

Emmanuel Macron, comme sorti d’un chapeau de prestidigitateur et sans parti politique, recueille pourtant la majorité des voix de l’électorat au premier tour des élections. Le leader du Mouvement « En Marche » fondé en avril 2016, il y a tout juste un an, sera probablement élu président de la République française dans quinze jours.
Les considérables moyens qui ont permis une campagne intensive ont certes pesé, mais ce résultat est avant tout une formidable démonstration de force des appareils de propagande de l’appareil d’Etat. La machine à fabriquer le consentement a montré une efficacité proprement extraordinaire. En effet, il n’est pas commun sans fraude directe ni coup d’état, de propulser au second tour d’élections majeures une personnalité peu connue, sans identité politique claire, sans parti et au discours singulièrement flou.
Emmanuel Macron, qui n’a jamais été élu, provient du milieu très connoté de la banque d’affaire dont il été extrait par le Chef d’Etat le moins populaire de l’histoire de la Vème république. Sans passé politique, il a été débauché de la Banque Rothschild par François Hollande qui l’a nommé secrétaire-général adjoint de la présidence de la République puis ministre de l’Economie. Le revirement du président sortant est saisissant : « l’adversaire de la finance » comme il se présentait lors de sa campagne électorale de 2012 a fini par choisir un banquier pour lui succéder…
Cet authentique phénomène médiatique a surgi comme par enchantement pour s’imposer, en quelques semaines, au centre du paysage politique français. Il ne s’agit donc pas d’infirmer les éventuelles qualités du benjamin -39 ans- des candidats du premier tour : on ne les connaît pas vraiment. Pur produit marketing, il parait plus sympathique, plus avenant, et il est surtout un visage neuf dans la galerie des prétendants à la fonction suprême.

La voie vers le sacre

Bien que novice, il a rapidement montré de réelles capacités manœuvrières. Ainsi, même s’il est le concepteur d’une loi travail honnie par les syndicats, il a fait en sorte que ce texte soit assumé et défendu par sa collègue Miriam El Khomri. La ministre du travail, disciplinée et faisant preuve d’un remarquable esprit de sacrifice, l’a imposé sans débats au risque de ruiner sa réputation. Emmanuel Macron est habile et sait s’abriter derrière les autres et derrière une phraséologie brumeuse.
Le candidat centriste, c’est ainsi qu’il est commode de le situer dans la géographie politique française, entre social-libéralisme et droite sociale, est particulièrement confus dans son expression au point d’en être souvent incompréhensible. Hormis de vagues aspirations à une incertaine modernité et à la moralisation de la vie politique, son programme est sans contours clairs et ses déclarations contradictoires. De fait, aucune idée-force n’a émergé de ses adresses électorales qui tiennent parfois du happening tant par les excès de ton que par le vide délibéré de sens. Cette forme de démagogie formée sur une prudente inconsistance du propos fait de l’insaisissable impétrant, le porte-voix d’un nouveau populisme, singulière virtualité politique s’évertuant à rapprocher dans le flou et l’imprécision des points de vue irréconciliables.  
Le Leader d’En Marche, a bénéficié d’un concours de circonstances très favorable dans un contexte de discrédit de la classe politique et de rejet populaire d’acteurs qui ont saturé l’espace politique depuis des décennies. Emmanuel Macron n’avait sur sa gauche aucun candidat crédible d’un Parti Socialiste (PS) divisé et irrémédiablement déconsidéré. A sa droite, le très conservateur François Fillon candidat du parti « Les Républicains » (LR) a été très opportunément atteint par une série de révélations dévastatrices sur ses accommodements avec la probité et les libéralités accordées à sa famille.
 A gauche et pour spectaculaire – et significative - que fut sa montée dans les intentions de vote et son score final, Jean-Luc Mélenchon pouvait difficilement bousculer le classement final en raison notamment de la présence de Benoit Hamon, candidat sincère d’un PS en perdition. Ce dernier a néanmoins capté un socle très en recul mais encore significatif de voix socialistes qui a manqué au candidat de la France Insoumise.
Pour Emmanuel Macron, la voie royale vers l’Elysée est donc pavée.
 

Consensus de Pouvoir

Même pour les plus crédules, la scénarisation de la candidature d’Emmanuel Macron comme la destruction de celle de François Fillon, son rival le plus redoutable, ont largement été orchestrées par le sommet des appareils politiques. Déjà sponsor de sa carrière politique, François Hollande, dont le mandat n’a été qu’une succession d’échecs, a incontestablement réussi la mise sur orbite présidentielle du jeune banquier d’affaires, littéralement porté par les médias. Ces médias qui lui ont consacré un nombre incalculable de « unes » et d’articles élogieux, sont, comme chacun sait, très largement concentrés entre les mains de moins d’une dizaine d’oligarques dont les très profitables activités restent très tributaires des appareils d’Etat.
Emmanuel Macron est bien le candidat consensuel du pouvoir réel. Ce sommet de la pyramide du pouvoir est la synthèse informelle de la frange supérieure de cette caste de quelques milliers de hauts fonctionnaires qui encadrent les services de l’Etat, d’influents grands lobbies idéologiques et d’affaires ainsi que des grands patrons économiques et financiers du pays. L’idéologie dominante de ce milieu dont les compartiments sont loin d’être étanches, est un nationalisme libéral-social atlantiste, historiquement fondé sur la primauté de valeurs « républicaines » qui procèdent largement de la philosophie de la « mission civilisatrice ». Même si ses porte-voix s’en défendent avec énergie, l’idéologie de l’Etat, où la laïcité dans sa déclinaison islamophobe tient une place centrale, dérive d’un héritage colonial refoulé mais omniprésent.
Pour prodigieuse que soit l’ascension d’Emmanuel Macron, il n’est pas l’unique politique de sa génération à prétendre à ce positionnement, ni droite ni gauche, légèrement iconoclaste et relevant d’un populisme renouvelé. De fait, en assurant la promotion du banquier d’affaires « antisystème », l’establishment français rejoint un mouvement plus général qui concerne une bonne partie du camp occidental.
L’avènement de personnalités au profil atypique, Justin Trudeau au Canada, Matteo Renzi en Italie et, bien sûr, Donald Trump aux Etats-Unis, traduit l’évolution du pouvoir libéral dans ses territoires d’origine.  Ces hommes incarnent une mutation du populisme plus conforme à une réalité marquée par une crise profonde et l’hégémonie des banques et entreprises multinationales.

Populisme National versus …

A l’évidence, la France éprouve beaucoup de difficultés à s’insérer dans une mondialisation ultra-concurrentielle qui impose des adaptations très douloureuses notamment aux milieux capitalistes traditionnels. Cette grande bourgeoisie « provincialisée » qui a construit sa fortune sur un marché protégé et ses colonies perd du terrain au profit d’un capitalisme global, apatride et aux appétits illimités.
Le Front National (FN) est l’expression extrême d’un populisme national protectionniste anti-européen, articulé autour de valeurs du terroir et conformes aux « racines chrétiennes » de la société française. Car, même si le Front National a renié sa tradition antisémite, au moins dans son expression politique officielle, il reste intrinsèquement anti-cosmopolite.
Débordant les forces politiques conservatrices, catholiques et se revendiquant d’un gaullisme issu de la Résistance, le Front National est l’instrument de cette bourgeoisie traditionnelle qui se sent menacée par l’Europe et la globalisation. Opposé à l’Europe « Allemande », le nationalisme d’extrême-droite revendique la primauté de la souveraineté et voudrait se tenir à équidistance entre Moscou et Washington. Ses leviers d’action sur le terrain, racisme et discours « identitaire » anti-migrants, reproduisent les articulations idéologiques de l’extrême-droite classique revisitées par l’islamophobie et le fantasme du « grand remplacement ».
Le populisme de Marine Le Pen est un refus de l’abandon de souveraineté inhérent à la mondialisation libérale au profit d’une Nation homogène et purifiée des apports étrangers « non-intégrables ». Même si les catégorisées visées ne sont pas explicitement désignées, il est clair que les noirs et les arabes constituent cette masse dangereuse et inassimilable. Le combat d’arrière-garde nationale du FN n’a pas changé depuis l’origine, il reste assis sur la xénophobie brutale et le repli sur une identité mythifiée.
Capitalisant sur la crise économique et le déclassement craint ou éprouvé par les couches populaires et les classes moyennes blanches, le FN construit inlassablement un ennemi intérieur, convergeant en cela avec d’autres forces de droite classique et de gauche qui ont trouvé dans l’Islam l’exutoire de toutes les peurs et une diversion efficace.

... Néo-Populisme Global

La politique d’exclusion, le discours de haine envers les minorités racisées et les musulmans, bouc-émissaires de tous les échecs français, empoisonnent un climat, déjà très lourd, de stigmatisation des altérités ethnico-culturelles. La menace de rupture brutale de la cohésion nationale est bien réelle. A cet égard au moins, le populisme national du FN est l’expression d’une idéologie de déstabilisation interne bien différente de celle du néo-populisme prôné par le candidat d’En Marche.
Emmanuel Macron affiche une posture relativement ouverte sur les minorités et l’Islam en mettant en avant une « laïcité d’ouverture » par contraste avec la laïcité d’exclusion dont sont victimes les musulmans. Au cours de sa campagne, il a tenu un discours très « entrepreneurial » aux jeunes des quartiers populaires mais il a défendu le « testing » et évoqué un système de discrimination positive pour atténuer les inégalités. D’une manière générale, le candidat centriste développe un propos consensuel et apaisant aux diverses catégories sociales. Sur ce terrain, il se démarque très nettement de l’attitude provocatrice de sa rivale du second tour.  
S’agissant de politique étrangère, l’héritier désigné de François Hollande n’envisage nullement la remise en cause ni même la contestation des orientations de son mentor. Le populisme relooké du dirigeant d’En Marche est soutenu par l’establishment européen qui voit en lui le continuateur des politiques décidées à Francfort et entérinées sans état d’âme par François Hollande. L’enthousiasme manifesté par les hiérarques de Bruxelles à l’annonce des résultats du premier tour le confirme sans équivoque. Le soulagement publiquement exprimé par les dirigeants de l’UE est le signe de la pérennité du statu-quo en vigueur.
Pour l’UE, le quinquennat à venir ne sera pas celui du changement de paradigme. Les nécessaires réformes de structures et des politiques européennes n’auront pas lieu. Les programmes d’austérité sous leadership allemand continueront donc d’être observés dans toute leur rigueur au grand dam des catégories populaires fragilisées par le délitement ininterrompu de l’Etat social et la permanence du chômage de masse.
Au plan international, la continuité est également assurée. Vis-à-vis du pré-carré néocolonial, il n’y aura pas non de changement comme l’a montré son voyage à Alger où Emmanuel Macron a bénéficié de l’appui marqué du régime. Plus fondamentalement, lors d’une ses rares prises de parole claire et dépourvue d’ambigüité, Emmanuel Macron a exprimé son soutien sans réserve à l’Etat colonial Israélien. Il ne remet nullement en question l’alignement de son prédécesseur sur les politiques atlantistes, bellicistes et néocoloniales au Moyen-Orient.
La ligne politique en pointillés défendue par Emmanuel Macron est bien la déclinaison française de l’idéologie et des stratégies des multinationales.

Et après?

Le néo-populisme globalisé serait-il l’antichambre de la prise de pouvoir par le populisme national ? L’hypothèse n’est pas purement théorique. Les conditions de la campagne électorale et la probable victoire d’Emmanuel Macron montrent que le système politique français, dominé par les conservatismes, est soumis à une oligarchie elle-même soumise au capitalisme allemand.
Pour souhaitable qu’elle soit, pour éviter l’exacerbation de la répression des arabes et les noirs, la victoire d’Emanuel Macron et des forces qu’il représente n’augure rien de positif pour les années à venir. L’effondrement des partis dominants traditionnels, LR et PS, le brouillage de la fracture entre droite et gauche incarnée par la victoire du néo-populisme sont autant de signes annonciateurs de crises politiques graves. La montée des fascismes commence par la négation des contradictions sociales au nom de la Nation pour finir par imposer une synthèse liberticide, autoritaire et violente.
La présidence Macron et ce qu’elle annonce en termes de régressions sociales, devrait être une période de mobilisations effectives, incluant donc les arabes, les noirs et les minorités rejetées aux marges de la politique. Il est donc nécessaire que les courants qui ont émergé au cours de cette campagne refondent une alternative démocratique convaincante face à l’Etat oligarchique néocolonial. Même si l’hypothèse parait optimiste au regard de la domination des forces réactionnaires, une recomposition progressiste est possible pourvu que soit révoqué l’héritage catastrophique d’un parti dont les compromissions, le racisme sournois et les trahisons ont discrédité le mot même de socialisme.
La social-démocratie française, au fil de ses calculs sordides et sa faillite terminale, laisse derrière elle un paysage dévasté avec moins de possibilité de rebondir qu’une droite revancharde piégée par les turpitudes de son candidat. En tout état de cause, les élections législatives qui suivront les présidentielles permettront de clarifier une scène politique repliée sur son héritage raciste.
Face à des perspectives incertaines, la mobilisation du potentiel politique indigène, la défense des intérêts des classes populaires, la prise en compte des revendications de toutes les minorités, dans le respect des convictions de chacun, permettront peut-être de fédérer des forces aujourd’hui assoupies, dispersées ou peu concernées par l’action politique. Sinon, la voie sera grande ouverte à toutes les régressions et à toutes les ruptures.


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