LE VIOL D’ENFANT, L’AUTRE CRIME DE GUERRE

En six ans de guerre, peu de crimes ont été épargnés aux Syriens. Massacres, tortures, bombardements, armes chimiques... L’un d'entre eux reste encore passé sous silence : le viol des enfants
2017-02-15

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رسم: داميان رودو

Par Cécile Andrzejewski et Leïla Miñano, avec Daham Alasaad

"Ils m'ont enlevé mes vêtements !". Dans les rues de son village près de Deraa1, au sud de la Syrie, la fillette de 11 ans crie, sans même s'en rendre compte. Comme folle, la petite Nora hurle des bribes de mots, des phrases sans queue ni tête, répétant sans cesse "ils m'ont enlevé mes vêtements ! Ils m'ont enlevé mes vêtements". Au détour d'une rue, Fatima tombe sur elle. Avertie quelques heures plus tôt par la rumeur publique que sa fille détenue aurait peut-être été relâchée avec un groupe d'enfants, cette Syrienne de 35 ans s'est lancée éperdument à sa recherche.  Face à la gamine adolescente, la mère peine à distinguer ces traits qu'elle a connus par coeur. Elle s'approche. Nora, en état de choc, ne la reconnaît pas. Leur dernière rencontre ne date pourtant que d'un mois et demi. Quarante cinq jours. Une éternité, depuis cette soirée du 3 mai 2011. Nous sommes alors aux premières heures du Printemps syrien, le régime écrase les manifestations, toujours plus nombreuses dans tout le pays. Deraa, épicentre du soulèvement populaire, et sa région font l'objet d'une vague de répression plus sanglante encore.  En ce début du mois de mai 2011, les shabihas, milices pro- gouvernementales, et les militaires encerclent la commune. Tandis que les hélicoptères survolent les quartiers, les soldats fouillent les maisons pour débusquer les « terroristes ». Parmi eux, Karim, le mari de Fatima, est accusé d'avoir aidé les blessés par balles lors des rassemblements populaires. Ce soir, il n'est pas là. Les soldats somment sa femme de le contacter. Fatima a beau leur répéter qu'ils sont « quasiment divorcés », ils ne veulent rien entendre.  Un officier pose les yeux sur les deux enfants présents dans la pièce. Fatima panique. Pour les protéger, elle nie être la mère de Nora et de son petit frère de 5 ans. Mais la fillette, terrorisée, crie : « Maman ! ». « Nous allons prendre votre fille en otage jusqu'à ce que votre mari se rende », annonce l’officier. Il saisit Nora, direction une base militaire de Deraa –  dont nous ne pouvons pas citer le nom, par souci de sécurité. La nuit même, le père de Nora se présentera au service des Renseignements militaires pour se constituer prisonnier. Mais sa fille restera enfermée 45 jours et Karim n’en reviendra jamais.  Ce matin de septembre 2016, c'est Fatima qui raconte l'histoire de sa fille. La famille a quitté la Syrie il y a près de quatre ans aujourd'hui et posé ses valises dans un immeuble d'un quartier pauvre d'Amman, la capitale jordanienne. Nora est devenue une frêle adolescente de 16 ans. Son abaya pourpre à fleurs blanches ne parvient pas à cacher la fragilité de son corps. Fatima parle à voix basse, mais ne cache pas sa détermination à vouloir témoigner. Alors que beaucoup de parents syriens font le choix de taire les violences subies par leurs enfants, pour les protéger de la honte de l'exclusion sociale qui pourrait en découler, la solide mère de famille a décidé de faire savoir "ce que nous a fait Bachar Al-Assad."

 

Texte complet sur le site: Zero Impunity


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